On peut lire régulièrement sur les nombreux blogs et think tanks libéraux que les conflits d’intérêts prennent origine dans le manque de concurrence entre les agences de notation. Cet article de l’Institut Molinari (“Faut-il davantage réguler les agences de notation ?”) en témoigne.
Historiquement, les agences de notation étaient financées par les investisseurs à qui elles vendaient des conseils et des notes au sein de publications spécialisées. Mais après la faillite de la compagnie de chemin de fer Penn Central en 1970, la Securities and Exchange Commission, l’autorité de régulation boursière américaine, a établi de nouvelles règles sur la composition des portefeuilles de certains gros investisseurs (fonds de pensions, certaines banques). Ceux-ci ne pouvaient plus posséder d’actifs trop risqués, c’est-à-dire ayant des notes faibles, à moins qu’ils gardent en réserve beaucoup plus de capital. L’État américain s’appuie donc sur les jugements émis par les agences de notation pour déterminer les actifs que ces gros investisseurs peuvent détenir.
Ceci a plusieurs conséquences. Tout d’abord, la demande pour les notations augmente très fortement, car tout émetteur qui veut vendre ses obligations ou ses produits financiers aux gros acheteurs réglementés doit auparavant avoir été noté.
L’article est intéressant. Il y a de bonnes choses. L’auteur commet néanmoins une grave erreur : celle de croire que l’intensité de la concurrence va réduire le conflit d’intérêt.
Un article du Financial Times (“Rating agency multiplicity”) indique que les vertus de la concurrence ne s’appliquent pas sur le marché de la notation. Au contraire, l’étendue du conflit d’intérêt serait proportionnelle à l’intensité de la concurrence (“Why Competition May Not Improve Credit Rating Agencies”).
Étrange, n’est-ce pas ? La concurrence n’est-elle pas un facteur d’émulation ? À première vue, ça peut sembler complètement fou. C’est parce que le marché de la notation est très particulier. Lorsqu’il y a une agence monopole, celle-ci n’a pas de concurrent pour lui contester sa clientèle. Lorsque la concurrence est intense, les agences perdent des clients au profit des concurrents qui verront gonfler leurs profits. Autrement dit, le pouvoir de négociation des agences de notation s’effrite dès que la concurrence s’intensifie. À l’inverse, une agence monopole ne connaît pas la pression de la concurrence. Les entreprises ne peuvent pas lui faire de chantage. Le monopole fera preuve de plus de prudence et moins de laxisme. Elle sera moins portée à surnoter les entreprises, qui de toute façon, n’auront pas le choix.
Est-ce là une preuve de la défaillance du marché ? Ce n’est pas si évident.
Un monopole ne pose pas forcément problème. On peut d’abord penser que c’est faux. Parce que sans l’aiguillon de la concurrence, le monopole n’est pas incité à produire la meilleure information possible. En vérité, un monopole ne pose problème que si le marché est très inélastique. Ce n’est pas le cas de la notation. Comme le disaient les agences, la notation n’est qu’une information, une indication. Nous ne sommes pas obligés de leur faire confiance.
Dès lors, le monopole n’est pas le problème, mais peut-être la solution. Là encore, on peut se demander comment. Généralement, le libre-marché aboutit presque toujours à une saine concurrence. Faut-il donc que la SEC se charge de la supprimer ? Ce n’est pas nécessaire. Si la concurrence fait chuter la qualité de la notation, il n’est pas difficile d’imaginer comment réagirait le marché. La demande de notation diminue, et la concurrence avec. Au final, le test du marché aboutirait probablement à une absence quasi-totale de concurrence.
Ainsi, l’erreur de la SEC n’est pas d’avoir limité la concurrence, mais d’avoir choisi de la maintenir.