Rationnement du crédit

Dans un précédent billet, j’ai porté une critique sur la fameuse théorie de la sélection adverse. Mais il faut savoir qu’il existe une autre théorie dite le “rationnement du crédit” qui stipule que le phénomène s’applique également au système bancaire.
L’argument de fond reste le même : les créanciers sont incapables de distinguer les bons clients des mauvais, les emprunteurs ayant une meilleure information sur la viabilité de leur projet. On classera les bons emprunteurs comme étant ceux qui ont un projet peu risqué mais moins rentable financièrement et les mauvais emprunteurs comme étant ceux qui ont un projet très rentable mais très risqué. Face à ce dilemme, les créanciers peuvent augmenter le taux d’intérêt pour compenser l’incertitude.
Comme dans le modèle du marché des voitures d’occasion, l’idée générale c’est que l’information asymétrique crée une situation d’aléa moral dans laquelle les emprunteurs, après obtention du crédit, vont devenir moins prudents en l’absence de surveillance, ce qui finalement aboutira à une mauvaise allocation du capital. L’explication tient au fait que les mauvais emprunteurs sont moins sensibles au coût du crédit que les bons emprunteurs, surtout si ces derniers ont un projet au taux de rentabilité inférieur au taux d’intérêt. Le corollaire, c’est que plus les conditions d’octroi se durcissent, et plus les bons emprunteurs quitteront le marché, ne laissant que les mauvais.

Ainsi, le modèle bancaire Stiglitz-Weiss auquel s’applique le vieux principe de Gresham qui veut que les mauvais chassent les bons tend à montrer que les emprunteurs efficients ne peuvent investir en raison des barrières à l’entrée que sont les conditions d’octroi, et plus particulièrement le taux d’intérêt.
Pourquoi ? Parce que le marché du crédit est segmenté, c’est-à-dire que les petites entreprises subissent le rationnement puisqu’elles sont plus fragiles financièrement que les grandes firmes.
Il y a plusieurs façons de rationner le crédit : en accordant un prêt à un montant inférieur et à moins long terme, ou un prêt à taux plus élevé.
Comment expliquer cette segmentation ?
De nombreux théoriciens qui ont étudié le sujet présentent un constat à peu près identique : les grandes firmes sont privilégiées et les petites firmes sont pénalisées.
Voici quelques arguments en vrac :
-Les banques discriminent les petites firmes en chargeant un taux d’intérêt moins élevé pour les grandes firmes.
-Les banques préfèrent traiter avec des clients connus. Un investisseur réputé emprunte à taux préférentiel par rapport à un investisseur peu connu.
-Un effet “économie d’échelle” qui fait que plus l’on a déjà emprunté, et plus les conditions d’emprunt se desserrent.
-Un effet “économie d’échelle” indique que le coût de l’endettement est relativement plus élevé pour une petite entreprise qu’une grande.

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Ruée bancaire : Diamond-Dybvig model

Diamond et Dybvig justifient l’existence d’une garantie publique sous la forme d’une assurance-dépôt, expliquant que celle-ci empêcherait les ruées bancaires.
D’abord ils présentent le système bancaire comme suit :
Les banques reçoivent des dépôts bancaires. Ces derniers pouvant être retirés à tout instant. Le banquier va prêter cet argent à des investisseurs qui ont des besoins d’investissements, sur du plus ou moins long terme. Cela signifie que ces investissements porteront leurs fruits dans le futur.
Que les banques pratiquent ou non la réserve fractionnaire, cela ne change rien au problème. L’argent n’est pas immédiatement disponible pour tous les épargnants. Une fraction seulement sera immédiatement disponible aux déposants. Si tout le monde vient récupérer son dépôt, la banque est dans l’incapacité d’honorer les remboursements car elle devra attendre que les investissements long terme portent leur fruit.  Mais elle ne peut pas attendre.

Ils dessinent alors deux scénarios :
1) Une rumeur court sur la solvabilité de votre banque : elle est vraie.
2) Une rumeur court sur la solvabilité de votre banque : elle est fausse, mais assez crédible aux yeux du public.

Dans le cas 1), il est logique de laisser les déposants faire sauter la banque. Dans le cas 2), c’est plus problématique puisqu’il résulte en quelque sorte d’une asymétrie d’information. Bien sûr, dans la vraie vie, on sait qu’il n’est pas possible de transformer n’importe quelle rumeur en prophétie auto-réalisatrice, sinon, ça se saurait. L’information doit être un tant soit peu fondée. Il se peut en revanche que les craintes soient exagérées.
Bref. Les déposants ont deux choix : ne pas retirer et prendre le risque de laisser les autres faire couler la banque, ou mettre de côté ses états d’âme et aller faire sauter la banque en espérant arriver parmi les premiers. Évidemment, on peut logiquement penser qu’ils vont tous se ruer vers la banque en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.
Les banques peuvent-elles recourir au marché inter-bancaire ? Pas forcément. Les concurrentes ne savent pas si la rumeur est fondée ou non. Asymétrie d’information oblige.

La solution, selon les théoriciens, serait l’adoption d’un système de garantie publique qui ne jouera de toute façon jamais. L’idée est que les déposants, en sachant que leurs dépôts sont protégés, ne provoqueront jamais un mouvement de ruée bancaire. L’autre avantage de l’assurance-dépôt c’est qu’elle capitalise la confiance des épargnants qui seront encouragés à confier leur argent aux banques plutôt que d’aller le cacher sous le canapé, ce qui est, selon eux, improductif.

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Akerlof et l’étrange théorie de la sélection adverse

George Akerlof reçut avec Stiglitz en 2001, le prix Nobel d’économie pour ses travaux sur l’information asymétrique. Souvent présentée comme une imperfection de marché, la théorie de sélection adverse se présente souvent sous deux exemples : le marché des voitures d’occasion et le marché des assurances.

Commençons par le premier marché. Que voyons-nous ? Que le marché de l’occasion comporte deux types de voitures : les voitures de qualité et les voitures endommagées. Les motifs pour lesquels les vendeurs cherchent à s’en débarrasser sont diverses, et les acheteurs n’en savent rien. Tout ce qu’ils savent c’est qu’il y a des tacots et que cet échange est risqué, tout simplement parce qu’ils sont dans l’incapacité de distinguer les bonnes marchandises des mauvaises. Tant qu’à faire, autant exiger que les prix baissent. Mais les propriétaires de belles voitures ne l’entendent pas de la même oreille : ils se retirent du marché, qui se retrouve avec des tacots. Les acheteurs qui s’en rendent compte se retirent du marché. C’est un dysfonctionnement de marché. L’information n’est pas transmise dans les prix.

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Sur les transactions d’initiés

Pour compléter le précédent billet sur les dérives de la finance, je présenterai ici les arguments de Padilla en faveur des « Insider Trading ».
Les transactions d’initiés consistent à vendre une action de société quand on sait qu’il va baisser très prochainement alors que l’acheteur ne le sait pas. Ce vendeur ayant reçu cette information privée, le plus souvent par la société elle-même, est appelé “insider” ou “initié”. La logique du délit d’initié interdisant ce genre de transactions repose sur la considération qu’une telle transaction est une escroquerie. Mais l’auteur de cet article nous donne ici un début d’explication sur la régulation du marché par le marché. L’idée générale étant que les transactions d’initiés améliorent les performances des entreprises.

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Le grand méchant marché – Landier et Thesmar

La question des marchés financiers est vaste, je vais donc me contenter d’énumérer les points importants du livre :

1) L’une des premières critiques adressées aux marchés financiers c’est qu’ils condamnent les entreprises à un “capitalisme sans projet”; la bourse pénaliseraient les projets de long terme pour doper les profits d’aujourd’hui. Les marchés financiers seraient myopes et aveuglés par le court-termisme. Pour savoir si la bourse pénalise les entreprises non profitables, il faut calculer le ratio “Market-to-Book”, soit le rapport de la valeur de marché de l’entreprise (ce qu’il faut payer pour en racheter toutes les actions et la dette, et donc, la posséder entièrement) et de sa valeur comptable (la valeur des machines, brevets et stock au prix où elle les a achetés). Si l’entreprise est punie par la bourse, son “Market-to-Book ratio” devrait être peu élevé. Et pourtant, le “Market-to-Book” des entreprises faisant des profits négatifs est très significativement plus élevé que celui des entreprises profitables. L’explication est la suivante : les entreprises non profitables sont plus jeunes, c’est pourquoi elles ont d’énormes besoins d’investissement et dépensent en moyenne trois fois plus en recherche et développement. Si leurs pertes s’aggravent, leur taille est multipliée par dix en trois ans. La bourse anticipe la croissance de l’entreprise et par là des profits futurs.
Les auteurs donnent un exemple éloquent : le secteur des biotechnologies, celui-ci investissant dans des programmes de recherche de longue haleine, s’étalant sur plusieurs dizaines d’années. Et pourtant :

Plus de 4 milliards de dollars ont été levés en bourse aux États-Unis en 2003 par ce jeune secteur industriel alors même que seules 12 des 50 plus grosses “biotechs” étaient profitables cette année-là.

Le problème des grosses entreprises, c’est qu’elles sont le plus souvent sur la deuxième partie de leur cycle de vie, celle où les revenus dépassent l’investissement. C’est pourquoi les marchés attendent très peu d’elles; la plupart des revenus sert à payer des dividendes ou à racheter les actions, et très peu sont réinvestis. Dans tous les cas, cela permet aux épargnants de réinvestir cet argent dans les entreprises jeunes et à forte perspective de croissance.

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Les mensonges de l’Argent Dette

Depuis maintenant quelques années, une vidéo fait fureur sur Internet.
Il y a bien sûr le Zeitgeist, mais surtout, la vidéo de Paul Grignon : Money as Debt.
Ce genre de films conspirationnistes et sensationnels bénéficient de la crédulité de nombreux internautes, à plus forte raison quand ces derniers ne connaissent pas les mécanismes de la monnaie et quand ils ont des prédispositions envers le capitalisme.
Au mieux, ils pensent que l’on devrait supprimer le prêt avec intérêts.
Au pire, ils demandent carrément l’abolition pure et simple des banques, et par extension l’argent.

Paul Grignon et tous ses suiveurs nous proposent un argument à logique fallacieuse : les banques ne prêtant pas l’argent des intérêts, les emprunteurs ne peuvent pas rembourser. Je te prête 100, tu me dois 110. Impossible. Je demande un deuxième crédit, pour rembourser les intérêts du premier. Il me reste 90, et je dois encore rembourser 110. Je suis endetté de 20, and so on…
Ce que ces gens semblent négliger, c’est qu’une banque doit gagner des intérêts pour payer les dépôts rémunérés des épargnants mais aussi pour payer les employés de banque. Une banque est effectivement une entreprise, ce qui implique par définition qu’elle a des employés qui, en tant que consommateurs, ont des dépenses personnelles à satisfaire. Oui, les employés de banque sont aussi des agents économiques (une logique qui a échappé à Paul Grignon) : ils ont besoin de se nourrir, de se loger, de s’habiller etc. L’argent des intérêts gagné par la banque est ainsi dépensé. Il est réinvesti dans l’économie, permettant ainsi aux emprunteurs d’honorer leur paiement.

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Le chômage, fatalité ou nécessité ? – Cahuc et Zylberberg

Chaque jour, en France, 10 000 emplois sont détruits et 10 000 emplois sont créés.

Entre 1970 et 2000, l’économie française a détruit, chaque année, approximativement 15% de ses postes de travail … et en a créé 15,5%, de manière à assurer une croissance nette de l’emploi de 0,5% par an.

Cette “loi des 15%” est aussi valable pour tous les pays industrialisés, qui en vérité, se ressemblent en termes de créations et destructions d’emplois; tous les ans, environ 15% sont détruits, et 15% sont créés.

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Privatisation des chemins de fer britanniques : un mythe

17 octobre 2000 : accident ferroviaire sur Hatfield. Bilan : 4 morts 70 blessés. Cause : rail fendu.

Quel est le responsable ? Pour la presse grand public, c’est le profit. Soit la privatisation. La raison ? Le sous-investissement.

En vérité, il n’y a qu’une seule façon pour un monopole d’exploiter le consommateur soit par une hausse des prix soit par une mauvaise qualité du service : il faut que le bien en question n’est pas élastique. Les chemins de fer sont quand même concurrencés par les autres modes de transport, la voiture par exemple.

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De l’histoire des caisses d’assurance privées

En 1850, Bastiat écrivait “Les Harmonies Économiques”.
Dans le chapitre XIV, “des salaires”, on y trouve un passage intéressant sur l’apparition des sociétés de secours mutuels.
Les salariés travaillent et gagnent leur pain, mais en raison des aléas de la vie, les individus ne sont pas forcément plus sereins pour autant.
Les sociétés de secours mutuels seraient donc apparues par besoin d’atténuer les sentiments d’incertitude.

Voici comment Bastiat imaginait le fonctionnement de ces sociétés :

De là les sociétés de secours mutuels, institution admirable, née des entrailles de l’humanité longtemps avant le nom même de Socialisme. Il serait difficile de dire quel est l’inventeur de cette combinaison. Je crois que le véritable inventeur c’est le besoin, c’est cette aspiration des hommes vers la fixité, c’est cet instinct toujours inquiet, toujours agissant, qui nous porte à combler les lacunes que l’humanité rencontre dans sa marche vers la stabilité des conditions.

Toujours est-il que j’ai vu surgir spontanément des sociétés de secours mutuels, il y a plus de vingt-cinq ans, parmi les ouvriers et les artisans les plus dénués, dans les villages les plus pauvres du département des Landes.

Le but de ces sociétés est évidemment un nivellement général de satisfaction, une répartition sur toutes les époques de la vie des salaires gagnés dans les bons jours. Dans toutes les localités où elles existent, elles ont fait un bien immense. Les associés s’y sentent soutenus par le sentiment de la sécurité, un des plus précieux et des plus consolants qui puissent accompagner l’homme dans son pèlerinage ici-bas. De plus, ils sentent tous leur dépendance réciproque, l’utilité dont ils sont les uns pour les autres; ils comprennent à quel point le bien et le mal de chaque individu ou de chaque profession deviennent le bien et le mal communs; ils se rallient autour de quelques cérémonies religieuses prévues par leurs statuts; enfin ils sont appelés à exercer les uns sur les autres cette surveillance vigilante, si propre à inspirer le respect de soi-même en même temps que le sentiment de la dignité humaine, ce premier et difficile échelon de toute civilisation.

Ce qui a fait jusqu’ici le succès de ces sociétés, — succès lent à la vérité comme tout ce qui concerne les masses, — c’est la liberté, et cela s’explique.

Leur écueil naturel est dans le déplacement de la Responsabilité. Ce n’est jamais sans créer pour l’avenir de grands dangers et de grandes difficultés qu’on soustrait l’individu aux conséquences de ses propres actes [5]. Le jour où tous les citoyens diraient: « Nous nous cotisons pour venir en aide à ceux qui ne peuvent travailler ou ne trouvent pas d’ouvrage, » il serait à craindre qu’on ne vît se développer, à un point dangereux, le penchant naturel de l’homme vers l’inertie, et que bientôt les laborieux ne fussent réduits à être les dupes des paresseux. Les secours mutuels impliquent donc une mutuelle surveillance, sans laquelle le fonds des secours serait bientôt épuisé. Cette surveillance réciproque, qui est pour l’association une garantie d’existence, pour chaque associé une certitude qu’il ne joue pas le rôle de dupe, fait en outre la vraie moralité de l’institution. Grâce à elle, on voit disparaître peu à peu l’ivrognerie et la débauche, car quel droit aurait au secours de la caisse commune un homme à qui l’on pourrait prouver qu’il s’est volontairement attiré la maladie et le chômage, par sa faute et par suite d’habitudes vicieuses ? C’est cette surveillance qui rétablit la Responsabilité, dont l’association, par elle-même, tendait à affaiblir le ressort.

Or, pour que cette surveillance ait lieu et porte ses fruits, il faut que les sociétés de secours soient libres, circonscrites, maîtresses de leurs statuts comme de leurs fonds. Il faut qu’elles puissent faire plier leurs règlements aux exigences de chaque localité.

Supposez que le gouvernement intervienne. Il est aisé de deviner le rôle qu’il s’attribuera. Son premier soin sera de s’emparer de toutes ces caisses sous prétexte de les centraliser; et, pour colorer cette entreprise, il promettra de les grossir avec des ressources prises sur le contribuable [6]. « Car, dira-t-il, n’est-il pas bien naturel et bien juste que l’État contribue à une œuvre si grande, si généreuse, si philanthropique, si humanitaire ? » Première injustice: Faire entrer de force dans la société, et par le côté des cotisations, des citoyens qui ne doivent pas concourir aux répartitions de secours. Ensuite, sous prétexte d’unité, de solidarité (que sais-je ?), il s’avisera de fondre toutes les associations en une seule soumise a un règlement uniforme.

Mais, je le demande, que sera devenue la moralité de l’institution quand sa caisse sera alimentée par l’impôt; quand nul, si ce n’est quelque bureaucrate, n’aura intérêt à défendre le fonds commun; quand chacun, au lieu de se faire un devoir de prévenir les abus, se fera un plaisir de les favoriser; quand aura cessé toute surveillance mutuelle, et que feindre une maladie ce ne sera autre chose que jouer un bon tour au gouvernement ? Le gouvernement, il faut lui rendre cette justice, est enclin à se défendre; mais, ne pouvant plus compter sur l’action privée, il faudra bien qu’il y substitue l’action officielle. Il nommera des vérificateurs, des contrôleurs, des inspecteurs. On verra des formalités sans nombre s’interposer entre le besoin et le secours. Bref, une admirable institution sera, dès sa naissance, transformée en une branche de police.

L’État n’apercevra d’abord que l’avantage d’augmenter la tourbe de ses créatures, de multiplier le nombre des places à donner, d’étendre son patronage et son influence électorale. Il ne remarquera pas qu’en s’arrogeant une nouvelle attribution, il vient d’assumer sur lui une responsabilité nouvelle, et, j’ose le dire, une responsabilité effrayante. Car bientôt qu’arrivera-t-il ? Les ouvriers ne verront plus dans la caisse commune une propriété qu’ils administrent, qu’ils alimentent, et dont les limites bornent leurs droits. Peu à peu, ils s’accoutumeront à regarder le secours en cas de maladie ou de chômage, non comme provenant d’un fonds limité préparé par leur propre prévoyance, mais comme une dette de la Société. Ils n’admettront pas pour elle l’impossibilité de payer, et ne seront jamais contents des répartitions. L’État se verra contraint de demander sans cesse des subventions au budget. Là, rencontrant l’opposition des commissions de finances, il se trouvera engagé dans des difficultés inextricables. Les abus iront toujours croissant, et on en reculera le redressement d’année en année, comme c’est l’usage, jusqu’à ce que vienne le jour d’une explosion. Mais alors on s’apercevra qu’on est réduit à compter avec une population qui ne sait plus agir par elle-même, qui attend tout d’un ministre ou d’un préfet même la subsistance, et dont les idées sont perverties au point d’avoir perdu jusqu’à la notion du Droit, de la Propriété, de la Liberté et de la Justice.

Telles sont quelques-unes des raisons qui m’ont alarmé, je l’avoue, quand j’ai vu qu’une commission de l’assemblée législative était chargée de préparer un projet de loi sur les sociétés de secours mutuels. J’ai cru que l’heure de la destruction avait sonné pour elles, et je m’en affligeais d’autant plus qu’à mes yeux un grand avenir les attend, pourvu qu’on leur conserve l’air fortifiant de la liberté. Eh quoi ! Est-il donc si difficile de laisser les hommes essayer, tâtonner, choisir, se tromper, se rectifier, apprendre, se concerter, gouverner leurs propriétés et leurs intérêts, agir pour eux-mêmes, à leurs périls et risques, sous leur propre responsabilité; et ne voit-on pas que c’est ce qui les fait hommes ? Partira-t-on toujours de cette fatale hypothèse, que tous les gouvernants sont des tuteurs et tous les gouvernés des pupilles ?

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