Les mensonges de l’Argent Dette

Depuis maintenant quelques années, une vidéo fait fureur sur Internet.
Il y a bien sûr le Zeitgeist, mais surtout, la vidéo de Paul Grignon : Money as Debt.
Ce genre de films conspirationnistes et sensationnels bénéficient de la crédulité de nombreux internautes, à plus forte raison quand ces derniers ne connaissent pas les mécanismes de la monnaie et quand ils ont des prédispositions envers le capitalisme.
Au mieux, ils pensent que l’on devrait supprimer le prêt avec intérêts.
Au pire, ils demandent carrément l’abolition pure et simple des banques, et par extension l’argent.

Paul Grignon et tous ses suiveurs nous proposent un argument à logique fallacieuse : les banques ne prêtant pas l’argent des intérêts, les emprunteurs ne peuvent pas rembourser. Je te prête 100, tu me dois 110. Impossible. Je demande un deuxième crédit, pour rembourser les intérêts du premier. Il me reste 90, et je dois encore rembourser 110. Je suis endetté de 20, and so on…
Ce que ces gens semblent négliger, c’est qu’une banque doit gagner des intérêts pour payer les dépôts rémunérés des épargnants mais aussi pour payer les employés de banque. Une banque est effectivement une entreprise, ce qui implique par définition qu’elle a des employés qui, en tant que consommateurs, ont des dépenses personnelles à satisfaire. Oui, les employés de banque sont aussi des agents économiques (une logique qui a échappé à Paul Grignon) : ils ont besoin de se nourrir, de se loger, de s’habiller etc. L’argent des intérêts gagné par la banque est ainsi dépensé. Il est réinvesti dans l’économie, permettant ainsi aux emprunteurs d’honorer leur paiement.

S’ils sont assez malins, il essaieront de compliquer la chose comme suit :
Paul obtient un crédit de Pierre (100 euros sur 10 mois, avec 10% d’intérêts). Chaque mois, Paul paie 11 euros (10 euros + 1 d’intérêt). A la fin du premier mois, il restera 89 euros à Paul, et 1 euro dans la poche de Pierre. Pierre pourra dépenser 1 euro le deuxième mois, remontant le total de Paul à 90 euros. Le deuxième mois, Paul paie 11, il lui reste 79 et 1 dans la poche de Pierre. Mais si on continue dans cette logique, le dixième mois, Paul devra 11 euros alors qu’il lui en reste 10, tandis que Pierre n’a rien dans les poches, et attend sagement son dernier euro.
Il y a un an et demi de ça, j’ai posé la question à ma conseillère en banque. Elle a confirmé ce que je pensais : l’emprunteur paie d’abord les intérêts, et ensuite le capital. De fait, lorsque la fin de l’échéance du prêt approche, vous êtes censé avoir déjà remboursé le montant total des intérêts, et il ne vous restera plus que le capital à rembourser. Pour l’emprunteur, cela ne change rien, mais pour le banquier, ça change beaucoup de choses.

Mais admettons que ce ne soit pas le cas. Si le prêteur souhaite être payé 10+1 chaque mois. Le dernier mois, il manquera 1 euro à Paul. Celui-ci demande un deuxième crédit, et son total monte à 110 euros. Il paie les derniers 11 euros du premier crédit, ce qui lui permet de rembourser le dernier euro. Paul a 99 en poche, et Pierre a 1 euro. Pierre dépense l’euro. Paul a maintenant 100 euros lorsque la fin du mois approche. Il devra 11 euros, il lui restera 89, et 1 dans la poche de Pierre.
Que pouvons-nous maintenant observer ? Que nous sommes tout simplement revenus au point de départ, lorsque Paul a remboursé les échéances du premier mois à Pierre, lors du premier crédit. Certains observeront que dans ce modèle, la seule solution pour payer les intérêts serait de demander toujours plus de crédits, mais au final, on voit bien que cela ne fait pas gonfler le montant total des intérêts et qu’il y a toujours moyen de les rembourser.

Il est possible que votre banquier repousse votre échéance, ce qui est très faisable. Cela lui donne le temps de dépenser l’euro manquant, vous évitant d’avoir à demander un second crédit. Enfin, l’hypothèse de “l’euro manquant” n’est applicable que dans une économie à deux agents. En d’autres termes, elle ne s’applique pas dans la réalité concrète. Il suffit de faire intervenir un troisième protagoniste, Jean. Jean vient d’emprunter chez Pierre alors que Paul est actuellement redevable à Pierre. Jean achète les facteurs de production de Paul pour lui permettre de rembourser le “dernier” euro à Pierre. Pierre, le banquier, peut recycler cet euro en achetant les marchandises de Jean. S’il manque un “dernier” euro à Jean, Pierre repoussera son échéance. Ou Paul (voire quelqu’un d’autre) demandera un énième crédit pour ses besoins d’investissement, et ses employés iront consommer chez Jean.

Maintenant, s’ils sont encore plus vicieux, ils vous rétorqueront : “dans la vie réelle, les gens épargnent, donc l’emprunteur ne peut pas rembourser.”
D’abord, précisons une chose. Les intérêts encaissés par le banquier ne vont pas forcément dans sa poche; une bonne partie servant à rémunérer les dépôts des épargnants. Ajoutons aussi que l’épargne, ce n’est pas de “l’argent qui dort”, n’en déplaise aux keynésiens. C’est de l’argent disponible pour les épargnants qui peuvent retirer leurs épargnes et consommer à tout moment. Lorsqu’un créancier met de l’argent de côté, quelqu’un d’autre peut retirer de l’argent pour consommer. L’épargne c’est aussi de l’argent disponible pour les emprunteurs/investisseurs. Les banquiers s’assurent toujours que l’argent des banques ne dort pas, car le stock dormant représente une énorme perte financière pour le banquier. L’argent ne dort pas; l’argent est prêté, même si cela signifie faire des rabais sur les tarifs. N’ayez crainte, les intérêts sont réinjectés.

Le problème est-il résolu ? Oui mais non. Oui, il est résolu, mais non, Grignon persiste et signe… avec Money as Debt 2 (L’Argent Dette 2 : Promesses Chimériques pour les non-anglophones).
Regardons bien à 5ème minute (49ème pour la version française), où Grignon essaye de se rattraper comme il peut.
Il nous dit que les prêteurs bancaires (chartered bank) prêtent de l’argent avec intérêts à des prêteurs non bancaires (secondary lender) qui prêtent également de l’argent avec intérêts. En d’autres termes, il est impossible de rembourser du même coup les intérêts du premier prêteur et les intérêts du second prêteur.
Essayons de nous prêter à ce petit exercice.
Jacques prête à Henry, qui prête à David. Jacques charge 10% d’intérêt à Henry, Henry charge 20% à David. David rembourse chaque mois des intérêts à Henry, qui reverse une partie à Jacques. Jacques et Henry perçoivent chacun leur commission et peuvent consommer. Une partie de leur revenu peut évidemment servir à l’investissement; ils peuvent choisir de prêter à nouveau. Dans ce cas, on peut penser que c’est un problème.

Voyons cela…
Lorsque le second prêteur (qui n’est pas une banque de dépôt, rappelons-le) choisit de prêter une partie de ses nouveaux revenus, ces revenus ne représentent ni plus ni moins que de l’argent déjà en circulation, parce que ce prêteur ne crée pas l’argent comme le fait toute banque commerciale de nos jours. L’argent dont il dispose pour prêter provient des banques commerciales.
C’est comme si j’avais trouvé hier un billet de 500 dollars sur le trottoir que je peux alors décider de le prêter, disons, à Jean. Je perçois ma commission, et je prête une partie de mes nouveaux revenus, disons, à Paul, qui va pouvoir consommer et permettre à Jean de trouver les ressources financières pour honorer son paiement. Puisqu’il me reste des revenus, je vais pouvoir le dépenser, alors que pendant ce temps, je perçois des intérêts mensuels de Paul. Je génère de nouveaux revenus, que je vais pouvoir dépenser. À nouveau, je prête une partie de ces revenus, disons, à David, qui va pouvoir consommer.
Mais si je décidais de ne pas consommer plus ? Cela signifie que mon capital va augmenter. Mais tant que je continue à prêter, mes nouveaux emprunteurs pourront permettre aux premiers de rembourser leurs dettes. Lorsque je serais vieux, j’arrêterais de prêter. J’aurais plus d’épargne et je pourrais consommer plus. Mes derniers emprunteurs, qui auront permis aux premiers de rembourser leurs dettes, bénéficieront de mes revenus pour honorer leurs échéances.

Et si par hasard ce billet de 500 euros appartenait à Pierre, et que je devais lui verser des intérêts mensuels pour avoir la permission de le ramasser ? Dans ce cas, une partie de mes revenus provenant de mes prêts sera versée à Pierre, ce qui signifie 1) que je consommerais moins ou 2) que je prêterais moins ou 3) les deux à la fois. Il reste que Pierre obtient des revenus supplémentaires, et peut consommer ou prêter ces nouveaux revenus. On voit bien ici que la situation ressemble à la précédente. Que ce soit moi ou Pierre qui prête ou consomme, il n’y a aucune différence.

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