Corrélation n’est pas causalité, ou l’argument d’autorité

Econoclaste a publié une récente note sur la formule selon laquelle “corrélation n’est pas causalité” (CNPC). On peut y trouver notamment cette séquence de bande dessinée.

Si induire d’une corrélation une causalité est simpliste, en déduire qu’une corrélation n’est pas causalité est tout aussi simpliste. Pire, c’est une façon de se donner des airs de savant en évitant de se fatiguer les neurones. Ce que fait parfaitement Calvin.

Quand une étude économétrique n’inclut pratiquement aucune variable de contrôle et n’offre pas d’explication théorique a priori de la corrélation obtenue, on peut penser que l’invocation du CNPC est justifiée. Inversement, quand une étude économétrique inclut toute une quantité de variables de contrôle et offre une explication théorique à la corrélation, on peut penser cette fois que l’invocation du CNPC est moins justifiée. Mais dans les deux cas, invoquer CNPC revient à commettre un sophisme. Cette formulation n’est rien de plus qu’un moyen de fuir à l’exigence cognitive d’une conversation relevée. Une paresse intellectuelle.

Derrière CNPC se cache surtout une défense idéologique. Quand un économiste keynésien trouve une corrélation négative entre austérité et croissance économique, il conclut systématiquement que le premier cause le second. Quand un économiste libertarien trouve une corrélation positive entre liberté économique et croissance économique, il conclut systématiquement que le premier cause le second. Peu leur importe le contrôle des variables confondantes. Dans le premier cas, un internaute libertarien invoquera CNPC. Dans le deuxième cas, un internaute keynésien invoquera CNPC.
Par exemple, le QI national est fortement corrélé à la liberté économique, si bien que ce dernier exerce peut-être un effet considérable sur la croissance par le biais du QI. Une méthode plus fiable aurait été de mesurer l’effet du QI sur la croissance lorsque le niveau de liberté est maintenu constant, et l’effet du niveau de liberté lorsque le QI est maintenu constant, et comparer ensuite les deux résultats obtenus.
De même, la mesure de l’efficacité ou inefficacité d’une politique de rigueur dépend de la façon dont elle est effectuée. Si elle est effectuée à travers une hausse d’impôt, alors les keynésiens ont simplement représenté un homme de paille. Il faut également contrôler les autres variables susceptibles d’influencer la croissance. Les récessions sont souvent, et à tort, le prétexte à un renforcement de la régulation à tous les niveaux. Si les récessions s’accompagnent alors d’une augmentation des réglementations et de l’incertitude des affaires qui en découlerait immédiatement, l’illusion que la politique de rigueur entraîne la chute du PIB est entretenue par le fait qu’elle s’accompagne de la régulation, soit la variable confondante.

Ce constat s’applique aussi aux études des effets du QI sur les performances économiques. Quand un égalitariste trouve une corrélation entre l’éducation parentale et performance scolaire, il rédigera dans sa conclusion que l’éducation parentale est importante dans la réussite des enfants. Il rejettera par conséquent les études démontrant un lien entre QI et performance scolaire en invoquant CNPC accompagnée par la formule aussi célèbre qu’erronée “Le QI ne mesure rien du tout”.

Herrnstein et Murray, dans leur ouvrage “The Bell Curve”, ont tenté de mettre en évidence les effets individuels du QI et du statut socio-économique (SES), ce qui revient à contrôler à la fois le niveau de revenu et la qualité de l’éducation parentale. Ce qu’ils écrivent à la page 231 (agrémentée d’un graphique) est on ne peut plus clair :

A white child’s IQ in the NLSY sample went up by 6.3 IQ points for each increase of one standard deviation in the mother’s IQ, compared to 1.7 points for each increase of one standard deviation in the mother’s socioeconomic background.

Le QI de la mère est trois fois plus prédictif de la variance du QI de son enfant que le statut socio-économique de la mère ne l’est pour déterminer le QI de son enfant. Ils trouvent le même résultat pour l’obtention du college degree : le QI est de loin beaucoup plus prédictif que le statut socio-économique des parents. Il est pourtant commun de lire sur la toile l’éternelle formule CNPC, invoquée ad nauseam. D’autant que les psychologues offrent une explication claire et nette pour illustrer cette corrélation : le QI mesure la vitesse d’apprentissage.

L’inclusion des variables de contrôle dans un modèle de régression ne se fait pas au hasard, et s’appuie au contraire sur une base théorique. Si nous souhaitons démontrer un lien entre relance budgétaire et croissance économique, corrigé des effets confondants, nous contrôlons les variables que nous soupçonnons pouvoir influencer la croissance. La confiance des consommateurs a-t-elle un effet sur la croissance ? Possible. Alors nous contrôlons la variable. La flexibilité des marchés du travail a-t-elle un effet sur la croissance ? Possible. Nous ajoutons un contrôle. La religiosité d’un président a-t-elle un effet sur la croissance ? Non ? Pas de contrôle supplémentaire. Et ainsi de suite.

L’intérêt dans le travail de Herrnstein et Murray d’avoir contrôlé le SES est le fait que cette variable selon la plupart des théories environnantes est une variable dont découle un très grand nombre de variables socio-économiques. Il est soupçonné à tort ou à raison que le SES influe sur la motivation, peut-être même l’estime de soi, la procrastination, l’auto-discipline, les effets d’attente, en plus d’être corrélé aux moyens financiers et le niveau d’éducation des parents susceptibles d’influencer grandement les résultats scolaires. Contrôler le SES permet de contrôler indirectement toutes ces variables confondantes.

Les modèles économétriques ne sont évidemment pas parfaits, et ne représentent qu’une simulation du monde réel, mais comme toute théorie sur laquelles les travaux économétriques sont basés, ils ne constituent pas une réponse définitive à tout phénomène, compte tenu du fait que l’entendement humain est limité. Nécessairement, toute étude scientifique a une limite humaine. Mais à défaut d’offrir une réponse universelle, au moins, ces modèles peuvent servir à soutenir la crédibilité d’une théorie au détriment d’une autre.

Le problème sous-jacent au CNPC est qu’elle ne permet pas d’approfondir la réflexion et les points faibles et points forts de l’étude. Existe-t-il une autre variable confondante qui n’a pas été insérée dans le modèle ? La théorie soutenue par le modèle ne possédait-elle pas déjà une faille ? CNPC fait peu de cas de ces réflexions. En pratique, CNPC est l’équivalent d’un argument d’autorité. L’apparence de scientificité en plus.

9 comments on “Corrélation n’est pas causalité, ou l’argument d’autorité

  1. Le Calvin et Hobbes m’a bien fait rire. Mais je ne vous surprendrais pas en disant que je me range nettement du côté de Calvin. D’abord, je suis agréablement surpris de voir que Calvin a su comprendre, ou au moins répéter, le CNPC. Stéphane Ménia dit entendre très souvent cet argument ; personnellement j’aimerais l’entendre bien davantage.

    Evidemment, il n’est pas permis de dire « Corrélation ne peut être causalité ». La formulation exacte de l’argument devrait être « Corrélation n’est pas nécessairement causalité ». Mais Calvin ne semble pas avoir commis cette erreur ici.

    Au cas présent, Hobbes me semble méconnaître gravement le rasoir d’Occam. Les liens entre bêtise et ignorance sont manifestes ; il n’est absolument pas besoin de recourir à une étude économétrique pour en démontrer l’existence. Personne ne le conteste. Calvin a parfaitement raison de faire part de son désintérêt et de ne pas vouloir écouter les développements de Hobbes : il perdrait son temps. J’espère au moins que de telles études ne sont pas financées par de l’argent public.

    D’ailleurs, il me semble que, si quelqu’un essaie de se donner une apparence de scientificité ici, c’est Hobbes, pas Calvin. Invoquer des études pour dire une chose aussi simple peut paraître assez prétentieux. Citer des chiffres fera toujours plus d’impression sur le profane qu’un raisonnement purement verbal. De plus, si, à côté de son étude économétrique, Hobbes produit une « explication théorique à la corrélation », c’est de cette explication théorique, et non de l’étude, qu’il faudra débattre.

    Je ne suis pas non plus d’accord avec vous pour dire que le CNPC constitue un moyen de « fuir à l’exigence cognitive d’une conversation relevée ». Au contraire, il me semble que, dans la conversation (sinon nécessairement sur un blogue), surtout entre profanes, les bonnes manières imposent de ne pas citer, pour défendre une thèse que l’on soutient (et en particulier si on peut s’en passer) des « faits » ou des « études » que l’on a soi-même réalisées ou, en tout cas, auxquelles l’interlocuteur n’a pas lui-même participé. En effet, ce dernier est alors souvent réduit à se taire ou à mettre en doute l’honnêteté ou la compétence de l’auteur de l’étude. Bien des personnes polies préfèreront la seconde solution ; il faut donc s’abstenir, dans la mesure du possible, de les confronter à ce choix. C’est une des raisons pour lesquelles il est plus facile de parler d’économie que d’autres sciences : comme c’est une science apriori, chacun, à condition de comprendre les concepts, peut produire des arguments sans avoir à citer des autorités.

    Si je devais citer un argument d’autorité au cas présent, ce serait celui de Ménia : « Dans un tel domaine, plus que dans d’autres, c’est sur le travail des pairs que repose la validation des travaux. En d’autres termes, quand on n’est pas économètre, on doit faire confiance un minimum au jugement académique et considérer l’état des connaissances tel qu’il est : une construction progressive qui peut être affinée, voire remise en cause. » Il se contente de dire : les économètres sont les gens les mieux placés pour dire si l’économétrie est une science.

    (Au fait, je pense que vous devriez traduire « strawman » par « argument spécieux » dans ce contexte.)

  2. Pourquoi vos posts sont-ils systématiquement marqués comme des spams ? C’est pénible. Car s’il faut juste cliquer sur “n’est pas indésirable” pour confirmer votre message, il suffit que je glisse pour cliquer sur “effacer”. C’est stressant…

    “Citer des chiffres fera toujours plus d’impression sur le profane qu’un raisonnement purement verbal.”

    Je suis d’accord, mais l’exemple est un peu grossier, et sert à titre d’illustration. En pratique, c’est rarement ce que je vois.

    Quant au fait que les blogueurs ne citent pas les références, je suis désolé, mais la moindre des choses serait que le lecteur demande les sources, qu’il aille vérifier par lui-même la méthodologie des auteurs qui ont participé à l’étude. Si vous voulez faire preuve de scientificité, c’est ce genre de commentaire que vous devez asséner. CNPC n’est qu’une façon de rejeter d’un revers de main l’étude économétrique, sans pourtant rien n’y comprendre. Mais en apparence, c’est une façon de montrer que vous savez tout, avez tout compris, alors que vous n’avez effectivement rien compris. Avec CNPC, le message que vous envoyez m’apparaît être le suivant : “j’ai pas envie d’analyser le travail en détail, mais c’est faux quand même”.

    Sur le passage que vous citez, je suis d’accord. C’est un peu le reproche que je fais à Ménia et Delaigue, ainsi que d’autres économistes, notamment ceux qui se trouvent sur le blogroll d’Econoclaste. Souvent, quand un non-économiste critique un travail, les économistes se rebiffent et vous jettent à la figure “vous n’êtes pas économistes, alors vous n’allez pas nous apprendre à faire notre travail”. Un économiste est un homme comme tout le monde, il peut se tromper. C’est le pédantisme scientifique.

  3. Les gens peuvent vérifier la méthodologie, mais il y a un point au moins qu’ils ne peuvent pas contrôler, à savoir la qualité des données récoltées.

    De plus, Ménia ne répond pas (au moins dans ce post) aux critiques fondamentales qui sont dirigées contre l’économétrie :

    -l’absence d’étalon de mesure,
    -le fait que les choix humains ne sont pas soumis à la loi de causalité,
    -l’impossibilité de reproduire des évènements en laboratoire,
    -l’inintérêt de l’exercice consistant à décrire des situations d’équilibre,
    -l’impossibilité de contrôler toutes les variables…

    Peut-être que ces critiques ne sont pas fondées. Mais il me semble normal que les gens qui les tiennent pour justifiées (et ce jusqu’à ce qu’on leur ait démontré le contraire) considèrent comme une perte de temps de se plonger dans le détail d’études empiriques dont ils critiquent l’existence même.

    Ne vous inquiétez pas : comme je sais maintenant que mes com’ sont considérés comme des spams, si je vois que mon message n’est pas publié, par prudence j’attendrai tout de même quelques jours avant de crier au scandale sur mon blogue…

  4. Par “qualité des données récoltées”, vous faites allusion à quoi ? Si ce sont les variables utilisés comme proxy, il y a généralement des explications théoriques qui les accompagnent. Par exemple, les études économétriques soutenant l’ABCT mesurent le “taux naturel” par les taux à long terme car ces derniers ne bougent pas beaucoup que ce soit en période de boom ou de bust. L’écart des taux court terme-long terme traduit l’écart entre taux naturel et taux de marché comme théorisé par l’ABCT.

    Ménia ne peut pas répondre aux critiques que vous soulevez. Vous le savez, ce n’est pas un économiste autrichien, et en général tous les économistes non autrichiens attachent beaucoup d’importance à l’empirisme, et critiquent les autrichiens pour attacher trop d’importance au raisonnement théorique, en reprochant à leur discours de ne pas être suffisamment accompagné d’équations.
    Néanmoins, les économètres savent que les modèles sont des simulations, et ils tentent simplement de représenter au mieux la réalité.

    Sur le fait que les humains ne sont pas soumis à la loi de causalité, j’ai un doute. Une balle dans la tête n’est pas simplement corrélé à la mort, elle la cause. Je ne sais pas si vous êtes habitué à lire ce genre d’études, mais il y a toujours des explications théoriques, soit présentées dans l’introduction, soit dans la conclusion, ou les deux. Douter de la corrélation parce que vous doutez de la théorie, c’est justifié. Et on en discute. Mais CNPC est dégainé dans un soucis d’idéologie. Quand une corrélation vous plait, vous la considérez comme valide, quand elle vous contrarie, vous dégainez ces 4 lettres. C’est une option de facilité pour éviter la discussion.

  5. […] cause de biais cognitifs et parce qu’ils confondent corrélation et causalité (a leur […]

  6. J’ai navigué un peu sur le blog de yoananda, j’ai trouvé ces deux articles. J’apprécie particulièrement celui de Vincent Bénard.
    http://rhubarbe.net/blog/2011/11/05/la-modelisation-financiere-est-une-arnaque/
    http://www.objectifeco.com/economie/anticipations-tendances/article/crise-financiere-l-erreur-mathematique

    (P.S. Econoclaste m’a twitté, j’ai eu droit à tout plein de visiteurs)

  7. Par “qualité des données récoltées”, je faisais allusion, en particulier, au « PIB ».

    Je n’ai effectivement pas l’habitude de lire ce genre d’études, mais parfois je me force. J’ai par exemple lu les études de Barro et Ramey sur le « multiplicateur » et quelques unes de celles que vous citez sur l’ABCT.

    En effet, ce ne sont jamais des études empiriques « pures », il y a toujours des explications théoriques en plus des « données », et c’est d’ailleurs la seule chose qui m’intéresse vraiment quand je lis ces études.

    Je ne dis pas que les humains ne sont pas soumis à la causalité (ils ne peuvent y échapper car ils vivent dans un univers soumis aux lois de leur physique ; leur corps lui-même y est soumis) ; j’ai dit que les choix humains n’en relevaient pas. Les actions des êtres humains ne sont pas de simples réponses à des stimuli. Elles ne sont pas automatiques. Ainsi, comme on ne peut appliquer à l’esprit humain la loi « une même cause produit un même effet », il n’y pas de constante dans les actions humaines, et par conséquent il est vain de vouloir mesurer quoi que ce soit. En revanche, une fois qu’un être humain a pris une décision, et a traduit cette décision par un acte, cet acte constitue une « cause » par rapport au monde extérieur : c’est pour ça que l’économie devrait se contenter d’étudier les actions « per se », et d’examiner les implications logiques de ces actions.

    Je ne voudrais dire trop de mal d’Econoclaste. Ca reste un bon blogue, en particulier quand on pense que les contributeurs écrivent dans Libération… J’aimerais bien que des journaux dits « de droite » leur ouvrent leurs colonnes. Néanmoins, en l’espèce, je trouve que Ménia a un peu péché par facilité. On peut ne pas être « Autrichien » et néanmoins connaître les critiques de l’école autrichienne contre l’économie mathématique – les connaître et essayer d’y répondre.

    Spam, pas spam ?

  8. […] Corrélation n’est pas causalité, ou l’argument d’autorité (Meng Hu, Analyse économique, 27/04/2012) […]

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