Le salaire minimum comme politique anti-concurrentielle

On ne peut pas ignorer la loi de l’offre et de la demande. Lorsque le prix de la main d’œuvre s’élève au-dessus du taux de marché, celle-ci est moins demandée en dépit de l’accroissement de l’offre. Les détracteurs du salaire minimum reconnaissent cette logique. Gregory Mankiw ne dit pas le contraire, et comme il l’explique lui-même, il existe encore d’autres coûts cachés. Des études auraient d’ores et déjà montré que les hausses de salaire minimum encouragent certains jeunes à quitter l’école plus tôt que ce qu’il en aurait été autrement. Tout ça pour se rendre compte qu’il n’y a pas de place pour eux sur le marché du travail. Sauf s’ils s’approprient le travail des adultes non qualifiés.
Les défenseurs du salaire minimum affirment que c’est une bonne chose de chasser les emplois mal rémunérés. Les étudiants vont accroître leur niveau de qualification … jusqu’à ce que les entreprises déclarent “Vous êtes trop diplômé. Vous n’avez pas assez d’expérience. Vous avez un profil sur-dimensionné.” ? Entre la sous-qualification et la sur-qualification il n’y a plus de juste milieu : la formation professionnelle.

Linda Gorman nous apprend que les employeurs du secteur de la construction aux USA ont trouvé plus rentable d’embaucher des travailleurs non qualifiés pour les former sur le tas.

David Neumark and William Wascher found that a 10 percent increase in minimum wages decreased on-the-job training for young people by 1.5–1.8 percent. Since on-the-job training is the way most people build their salable skills, these findings suggest that minimum wage laws also reduce future opportunities for the unskilled.

Les recrues négocient un salaire inférieur en échange d’une formation susceptible d’accroitre leur salaire futur. Élever le salaire minimum vient à réduire la main d’œuvre sous-qualifiée. C’est pourquoi les travailleurs syndiqués ont tout intérêt à encourager les hausses du salaire minimum : ils sont ainsi protégés de la concurrence des jeunes sans expérience, mais également des femmes et des immigrés. Ils entretiennent une pénurie de main d’œuvre pour maintenir des salaires élevés. En vertu de leurs privilèges, ils peuvent négocier un salaire au-delà du taux de marché causant alors des pertes d’emplois dans le(s) secteur(s) syndiqué(s) de l’économie.
Mais même en supposant un contexte dans lequel toutes les entreprises existantes payent actuellement des salaires supérieurs au seuil légal, le salaire minimum agit encore comme une barrière à l’entrée des jeunes.
Si le salaire minimum ne s’applique pas à tous les secteurs d’activité, les chômeurs se dirigeront vers les secteurs non couverts par le salaire légal. La taille du secteur non couvert peut ne pas être en mesure d’absorber tous les chômeurs sans une forte réduction du salaire du fait de l’offre et de la demande. Certains préfèreront toucher des indemnités de chômage.

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Histoire juridique des banques

Dans son ouvrage “Money, Bank Credit, and Economic Cycles”, Jesús Huerta De Soto tente d’expliquer le caractère frauduleux de la réserve fractionnaire.
Comme le résume très bien Kinsella, il existe trois types de dépôt : le dépôt régulier, le dépôt irrégulier et le mutuum contract. Le premier consiste à déposer un bien dans un dépôt spécifique ou coffre individuelle. Le second consiste à déposer un bien “fongible”, interchangeable avec un autre de même nature. Le troisième n’est pas un véritable dépôt car il est considéré comme un prêt, un investissement. Les deux premiers types de dépôts ne consistent pas en un transfert au banquier de la disponibilité du dépôt, ce qui signifie que la banque doit conserver en tout temps, toute heure, l’argent qui lui a été confié. C’est un service de gardiennage. La seule différence est que le premier dépôt exige que les mêmes biens soient rendus tandis que le second recquiert simplement qu’un bien de même nature que celui déposé soit rendu au client.
Le troisième dépôt quant à lui abandonne la propriété du dépôt au banquier pour lui permettre de le prêter en contrepartie d’une rémunération de son compte. Le banquier peut donc pratiquer la réserve fractionnaire sans rompre son contrat : l’argent lui appartient, il en fait ce qu’il veut. L’épargnant, ici, n’est plus un déposant, mais un investisseur.
Tandis qu’un vrai dépôt est appelé “demand deposit” (dépôt à vue) dans le sens où il peut être retiré en tout temps, toute heure, “sur demande” … le prêt est vu comme un “time deposit” (dépôt à terme) car il nécessite un délai durant lequel le banquier vend ses actifs pour honorer les retraits.

De Soto explique que le dépôt régulier coûte cher, et que les clients préfèrent logiquement demander un dépôt irrégulier où l’on mélange tous les biens dans un même récipient. Dès lors il devient impossible de distinguer l’appartenance des objets de nature identique. Le problème, comme nous allons le voir, provient du fait que la loi d’une part ne considère pas le dépôt irrégulier comme un dépôt et que d’autre part les banquiers violent les contrats de dépôt en les utilisant.

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L’impact des bulles spéculatives sur les salaires relatifs

Of Bubbles and Bankers :
The Impact of Financial Booms on Labor Markets

Tobias Wuergler a mené une étude qui tend à démontrer que la déréglementation et l’émergence de bulles d’actifs renforce la croissance du secteur financier ainsi que l’écart de rémunération entre les plus qualifiés et les moins qualifiés. La déréglementation aurait été amorcée dans les années 70 avec la fin de Bretton Woods puis accélérée à partir des années 80, et ce, particulièrement aux États-Unis et au Royaume-Uni alors que pendant ce temps la France et l’Allemagne ont renforcé la réglementation bancaire (voir figure 3, page 23).
Et d’après Philippon (2008), la part du secteur financier dans le PIB aux USA a fortement augmenté au cours du boom boursier des années 20 et depuis les années 80, alors que cette part s’est effondrée pendant la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale.

Les bulles augmenteraient donc les opportunités de profits pour la main d’œuvre qualifiée employée dans l’industrie financière, et celle-ci augmente les salaires pour attirer de la main d’œuvre qualifiée nécessaire à la croissance de son activité.

The complex and novel nature of economic fundamentals surrounding bubbles in combination with the new structures to exploit them favors the supremacy of analytical skills in the financial sector. To profit from these opportunities, financial institutions need to hire highly educated and skilled bankers and traders, capable of creating new models and systems, structuring bespoke vehicles and securities, and marketing them to clients.

Ces opportunités de profits suite au “financial boom” engendrent un effet de crowding out qui pousse les chercheurs, les ingénieurs, informaticiens et autres mathématiciens à quitter leur emploi actuel pour s’engager dans la finance, ce qui réduirait à terme la production dans l’économie réelle. Bien évidemment, ce processus n’est pas sans fin, car la pénurie de professionnels dans l’économie réelle conduit finalement à augmenter leur salaire et donc le coût d’opportunité. De toute façon, effet crowding out ou pas, ça prend des années pour former de la main d’œuvre qualifiée. Il y a toutes les chances, donc, pour que cette pénurie augmente les salaires de l’industrie financière plus vite que dans le reste de l’économie.

Consider the recent housing and securitization boom. A myriad of structures has been created to invest in credit and mortgages, such as collateralized debt obligations (CDOs), asset-backed commercial paper conduits (ABCPs), and structured investment vehicles (SIVs). The underlying credits were pooled and structured, and the tranches of these pools recycled in yet further structures. Revenues of financial institutions soared, but they had to employ hoards of mathematicians, IT engineers and quantitative finance specialists to handle these highly complex transactions.

À titre de comparaison, les activités traditionnelles de prêts et de courtage nécessitent moins de compétence.
Quand bien même, l’auteur suggère que l’État pourrait renforcer la réglementation en accroissant les exigences en termes de gestion et d’information ainsi que les restrictions sur l’effet de levier. Tout ceci aurait pour effet de diminuer la productivité de l’économie réelle tout en limitant le gonflement des bulles. Il estime que les avantages l’emporteraient sur les inconvénients.
La hausse des inégalités salariales due aux bulles spéculatives dépend du montant des rentes (autrement dit, la taille des bulles) qui peuvent être anticipées grâce à la formation de bulles. Une faible réglementation financière renforce l’avantage comparatif d’un pays en matière d’intermédiation en permettant des rendements croissants en raison des retombées locales en matière d’intermédiation.

D’après Philippon et Reshef :

“…financial jobs were relatively skill intensive, complex, and highly paid until the 1930s and after the 1980s, but not in the interim period.”

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