Prix Nobel d’économie 2008, récompensé pour ses travaux sur le commerce international, Paul Krugman démonte un à un les mythes encore couramment répandus aujourd’hui sur la mondialisation souvent accusée d’accroitre les inégalités et le chômage. De façon générale, les anti-mondialistes considèrent que l’économie est un jeu à somme nulle, où les uns perdent ce que les autres gagnent.
– Qu’est-ce que l’avantage comparatif ?
David Ricardo affirmait que si le climat de l’Angleterre en fait un meilleur producteur de tissu alors que le climat du Portugal en fait un meilleur producteur de vin, c’est un non-sens économique que ces deux pays cherchent à produire chacun du vin et du tissu. C’est un avantage comparatif. Les détracteurs reconnaitront que lorsque les américains sont plus productifs que les anglais dans tous les secteurs d’activité, le commerce mondial est rendu peu profitable à cause de l’avantage absolu des américains. Rien n’est plus faux. Il suffit aux anglais de se spécialiser dans les secteurs où le retard de productivité est le moins prononcé. La spécialisation permet d’accroitre la productivité, et donc le revenu réel. Si le commerce entre pays riches et pays pauvres résulte en un échange de produits de haute technologie (avions, microprocesseurs) contre des produits à fort coefficient de main d’œuvre (vêtements), alors les pays riches doivent former plus de cadres et de diplômés.
– L’immigration génère-t-elle du chômage et des inégalités ?
David Card faisait savoir qu’un pays qui verrait affluer beaucoup d’immigrés ferait face à un afflux de travailleurs et que, ce faisant, le capital par travailleur devient relativement rare. Autrement dit, la productivité par tête diminue. Si les salaires sont flexibles, les salaires chutent. Si les salaires sont rigides, le chômage augmente. Mais à long terme, ces baisses de salaires permettront aux entreprises d’investir davantage dans les facteurs de production manquants, rehaussant ainsi la productivité, et in fine, les salaires. Si le capital est mobile de sorte que le système économique puisse rendre disponible très rapidement le capital nécessaire pour mettre en valeur les facultés productives du nouvel arrivant, l’arrivée de l’immigrant n’ajoute rien au chômage (cf “Le chômage, fatalité ou nécessité ?” – Cahuc & Zylberberg).
– Faut-il craindre la concurrence des bas salaires venu des pays émergents ?
Lorsque les industries exportent des capitaux vers les pays émergents, ces derniers disposent de plus de capital par travailleur, lequel devient plus productif. Puisque les pays développés disposent d’un avantage absolu, le seul avantage comparatif sur lequel peuvent se reposer les pays émergents est le prix au rabais des produits exportés. Le capital exporté est du capital qui ne sera pas investi à l’intérieur, ce qui signifie que les salaires nominaux vont régresser. On peut penser que c’est un problème, puisque la concurrence se faisant sur le travail peu qualifié, les inégalités entre ouvriers et cadres vont s’accroitrent. Krugman montre que les chiffres (de 1970-1990) révèlent tout autre chose : l’effet de la mondialisation sur ces inégalités est largement insignifiant. En outre, celui-ci explique qu’il est futile de faire une fixette sur le salaire d’un secteur en particulier tout en occultant le reste. Pourquoi un coiffeur américain est-il mieux payé qu’un coiffeur en Chine, alors qu’ils ont la même productivité ? Tout simplement parce que le revenu réel est très largement déterminé par la productivité globale. Ainsi, lorsque la Chine rejoindra les USA en terme de développement, le revenu réel des chinois rejoindra celui des américains. Si la mondialisation permet d’accroitre la productivité mondiale, tout le monde en ressort gagnant.
– Qu’est-ce qui explique la désindustrialisation des pays développés ?
L’essentiel de la désindustrialisation s’explique par le changement dans la composition de la consommation intérieure qui a évolué au détriment des biens manufacturés.
En 1970, les personnes résidant aux États-Unis affectaient 46% de leurs dépenses dans l’achat de biens (manufacturés, agricoles ou miniers), le reste (54%) étant dépensé en services ou en bâtiment et travaux publics. En 1991, ces chiffres étaient respectivement de 40,7% et 59,3%, les gens dépensant plus en services de santé, en voyages, en loisirs, en honoraires d’avocats, en restauration rapide etc.
Le progrès technique augmente la productivité des biens industriels, mais puisque la consommation de ces biens est inélastique, le progrès technique s’accompagne indéniablement d’un déclin des emplois industriels au profit des secteurs de service : c’est le phénomène du déversement. Krugman rappelle aussi que l’effet des délocalisations sur le processus de désindustrialisation est très infime. Au pire, il ne fait qu’accélérer un tout petit peu ce processus de toute évidence inévitable.
Continue reading →