Reaganisme et Thatchérisme : entre légende et réalité

On raconte souvent que Reagan et Thatcher ont été les chantres de l’ultra-libéralisme. Dévots du capitalisme satanique, ils ont baissé les impôts, opéré des vagues de privatisations et déréglementations, déclenché des émeutes, etc. Toutes ces histoires sont largement exagérées, et si cette vérité ne date pas d’aujourd’hui, un petit rappel à l’ordre est toujours utile, tant le mythe perdure, encore et toujours.
C’est dire que le marché a bon dos.
Lorsque Reagan est entré en fonction en 1981, les objectifs affichés étaient les suivants : réduire le niveau de taxation pour tous les niveaux de revenu, réduire la taille du gouvernement et réduire la réglementation du secteur privé. Reagan a échoué sur tous les plans.

The Myths of Reaganomics

Si la taille du gouvernement a été réellement réduite, les dépenses publiques devraient être revues à la baisse. En 1980, le gouvernement Carter a dépensé 591 milliards de dollars. En 1986, le gouvernement Reagan a enregistré 990 milliards de dollars, soit une hausse 68%. En 1980, les dépenses fédérales représentaient pour 21,6% du PNB. En 1986, les dépenses s’élevaient à 24,3% du PNB.
S’il est vrai que le taux d’imposition pour les revenus élevés a subi une ‘coupe’, l’impôt a augmenté pour la classe moyenne, plutôt que diminué. La baisse des taux d’imposition a été plus que compensée par deux formes de hausse d’impôt. La première est le “bracket creep”. Qu’est-ce que le bracket creep ? Tout simplement, une situation où l’inflation pousse le revenu dans les tranches d’imposition plus élevées. La conséquence évidente est une augmentation des impôts sur le revenu. La deuxième est l’augmentation continue de l’impôt de Sécurité Sociale.

Since the tax cut of 1981 that was not really a cut, furthermore, taxes have gone up every single year since, with the approval of the Reagan administration. But to save the president’s rhetorical sensibilities, they weren’t called tax increases. Instead, ingenious labels were attached to them: raising of “fees,” “plugging loopholes” (and surely everyone wants loopholes plugged), “tightening IRS enforcement,” and even “revenue enhancements.”

Selon une étude du National Bureau menée par Hausman et Poterba sur la Tax Reform Act de 1986, plus de 40% des contribuables ont souffert des hausses du taux marginal d’imposition (ou des taux tout aussi élevés que sous le régime fiscal antérieur), et parmi ceux qui bénéficiaient d’une réduction d’impôt marginal, seulement 11% ont obtenu des réductions de 10% (ou plus). Les auteurs ajoutent que le TRA de 1986 tend à réduire (même légèrement) l’épargne grâce aux taxes sur les plus-values, notamment. La TRA n’a pas amélioré le sort des plus démunis.

Un détail qui a son importance, les recettes fiscales. Celles-ci s’élevaient à 517 milliards de dollars en 1980, sous Carter. En 1986, les recettes ont plafonné à 769 milliards de dollars, soit une augmentation de 49%. La réalité est que l’impôt dans son ensemble n’a que légèrement diminué :

Taxes fell from 18.9% of the GNP to 18.3%, or for a better gauge, taxes as percentage of net private product fell from 27.2% to 26.6%.

Et si les “user fee” (frais d’utilisation) ne sont pas considérés comme des impôts, mais un droit d’utiliser un service public, comme les parcs et les voies navigables, Reagan a élargi la définition du “user fee” pour y inclure les droits d’accise. Les “user fee” ont ensuite pris pour cible les compagnies aériennes internationales, les tarversées maritimes, les producteurs de charbon, l’essence et l’autobus. Et dans le sillage de l’effondrement du marché boursier, à l’époque, Reagan a affirmé qu’il était prêt à examiner les propositions de hausses d’impôts.

To greet a looming recession with a tax increase is a wonderful way to bring that recession into reality.

En outre, Reagan a intensifié la réglementation suite au Krach boursier d’octobre 1987. Si l’on fait le bilan des déréglementations sous Reagan, il semble que les déréglementations ont, au total, augmenté plutôt que diminué. De nombreuses dispositions réglementaires ont été renforcées, notamment concernant le crime du « délit d’initié ». Ceci a pour effet de protéger les dirigeants d’entreprise incompétents des OPAs. La politique agricole, pour sa part, a renforcé les subventions et contrôles des prix.

En réalité, donc, Reagan a taxé et dépensé bien plus que son prédécesseur, Jimmy Carter. Et comme le rappelle Jeff Pruett, mis à part sa première année et sa dernière année de présidence, Reagan a toujours signé des augmentations d’impôts, comprenant des taxes sur l’essence, une réforme fiscale en 1986 incluant la plus forte hausse d’impôt sur les sociétés de l’histoire des USA, des augmentations substantielles de charges sociales pour maintenir la solvabilité de la Sécurité Sociale. “The Tax Equity and Fiscal Responsibility Act” de 1982 constituait à l’époque la plus forte augmentation d’impôts aux USA en temps de paix; le TEFRA a permis une hausse des recettes fiscales à hauteur de 0,98% du PIB. Les dépenses publiques, ajustées de l’inflation, ont augmenté en moyenne de 2,5% par an. Le nombre de fonctionnaires fédéraux n’a pas baissé, il a augmenté, passant de 2,8 millions à 3 millions.

Sheldon Richman enfonce le clou. En 1980, dernière année de Carter, les dépenses fédérales représentaient 27,9% du revenu national. Vers la fin du premier trimestre 1988, les dépenses fédérales plafonnaient à 28,7% du revenu national.

Even Ford and Carter did a better job at cutting government. Their combined presidential terms account for an increase of 1.4%—compared with Reagan’s 3%—in the government’s take of “national income.”

Le budget du Département de l’Éducation et du Département de l’Énergie a plus que doublé (22,7 milliards de dollars). Les dépenses de la Sécurité Sociale sont passées de 179 milliards de dollars en 1981 à 269 milliards de dollars en 1986. Ces dépenses extravagantes se sont ressenties dans les dettes publiques; Reagan a triplé la dette fédérale brute, qui est passée de 900 milliards à 2,7 trillions de dollars. Ford et Carter combinés n’ont pourtant pas fait mieux que doubler la dette fédérale. Et si l’on regarde les recettes du gouvernement en pourcentage du revenu national, on trouve peu de changement depuis le gouvernement Carter. En 1980, les recettes plafonnent à 25,1% du revenu national. Au premier trimestre 1988, elles étaient à 24,7%.

En 1982, Reagan a soutenu une taxe sur l’essence et une hausse des taxes sur l’industrie du camionnage. Total de l’augmentation : 5,5 milliards de dollars par an. Mais si donc il y a eu des hausses de taxes et d’impôts, il n’y a pas eu autant de déréglementations que cela. S’il est vrai que les déréglementations ont pris pour cible les banques, les autobus interurbains, le transport maritime, et l’énergie, on ne peut pas en dire autant de la santé et de l’environnement. L’important étant de savoir que les réglementations ont plutôt augmenté, non diminué. Même le “Reaganomist” Niskanen a reconnu que le commerce international est plus réglementé qu’il y a 10 ans.

Sheldon Richman, encore lui, confirme que Reagan était bel et bien protectionniste. Tout en prônant la libéralisation du commerce mondial, il a toujours considéré le Japon comme étant une partie du problème. Il a donc tenté de ralentir le déluge des voitures japonaises ‘trop bon marché’ qui inondait alors le marché américain.

Ronald Reagan has forced nations that export textiles, apparel, sugar, steel, and other products to cartelize these industries.

L’administration Reagan a …

… forcé le Japon à accepter les restrictions sur les exportations d’automobiles;
… soulevé considérablement les quotas sur l’importation du sucre;
… renforcé les restrictions du Multi­-Fiber Arrangement (MFA) sur l’exportation de textiles et de vêtements provenant des pays en développement;
… imposé des droits de douanes sur les motos japonaises, pour le grand bénéfice de Harley-Davidson;
… augmenté les droits de douanes sur le bois canadien et les bardeaux de cèdres;
… forcé le Japon à adopter un contrôle des prix sur leurs memory chips;
… poussé le Japon à forcer leurs constructeurs automobiles à acheter davantage de pièces fabriquées aux USA;
… exigé de Taïwan, de l’Allemagne de l’Ouest, du Japon, et de la Suisse, une limitation des exportations de leurs machine-outils;
… etc. etc.

The Reagan Fraud — and After

By the time Reagan left office, at least 25 percent of all imports were restricted, “a one hundred percent increase over 1980.”

During his eight years in office, Ronald Reagan increased federal spending by 53 percent, added a quarter of a million new civilian government employees, escalated the War on Drugs, created the “drug czar’s office,” and lowered the value of your 1980 dollar to 73 cents.

Ronald Reagan Myth Doesn’t Square with Reality

In fact, he went in the opposite direction: His creation of the department of veterans affairs contributed to an increase in the federal workforce of more than 60,000 people during his presidency.

And while Reagan somewhat slowed the marginal rate of growth in the budget, it continued to increase during his time in office. So did the debt, skyrocketing from $700 billion to $3 trillion. Then there’s the fact that after first pushing to cut Social Security benefits – and being stymied by Congress – Reagan in 1983 agreed to a $165 billion bailout of the program. He also massively expanded the Pentagon budget.

Meanwhile, following that initial tax cut, Reagan actually ended up raising taxes – eleven times.

And as Peter Beinart points out, the 1983 payroll tax hike went to pay for Social Security and Medicare. […] Reagan also raised the gas tax and signed the largest corporate tax increase in history, an act Joshua Green writes would be “utterly unimaginable for any conservative to support today.”

Ronald Reagan, Party Animal

As Michael Kinsley has observed, after Reagan’s two terms, spending by the federal government was one-quarter higher, factoring out inflation , than when he got there; the federal civilian workforce had increased from 2.8 million to 3 million; and federal spending, as a share of Gross Domestic Product, had decreased by one percentage point to 21.2 percent.

The deficit , which stood at $74 billion in Carter’s final year, ballooned to $155 billion in Reagan’s final year.

Rothbard, (Making Economic Sense, chapitre 62, page 227-230) démystifie complètement la politique de Thatcher. La Poll Tax de Thatcher a fait éclater des émeutes, précisément parce que pour être soutenable, il aurait fallu que les niveaux d’imposition aient baissé. Au lieu de ça, ils ont augmenté, de sorte que le citoyen moyen se retrouve à payer un tiers supplémentaire d’impôts locaux.

To increase tax levels after they become equal is absurd: an open invitation for tax evasion and revolution. In Scotland, where the equal tax had already gone into effect, there are no penalties for non-payment and an estimated one-third of citizens have refused to pay. In England, where payment is enforced, the situation is rougher.

Bien que Thatcher s’est engagée dans une vague de privatisations, les impôts et les dépenses publiques en pourcentage du PNB ont augmenté au cours de son régime, tandis que l’inflation monétaire a entraîné une inflation des prix. Enfin, la légère baisse des taux d’imposition sur le revenu a été plus que compensée par une augmentation encore plus grande de la TVA.
Le “reaganisme-thatchérisme” n’est pas le vestige du libéralisme, mais celui d’un libéralisme bridé.

3 comments on “Reaganisme et Thatchérisme : entre légende et réalité

  1. Natrépp says:

    Je trouve que c’est une fort bonne chose que d’avoir enfin un texte clair en français dénonçant le mythe Reagan ; je connaissais déjà cette critique de Murray Rothbard et autres diatribes du Mises Institute, mais dorénavant, je pense que je ferai un lien vers ce billet en guise de source quand j’aurai besoin de rappeler certaines réalités. 🙂

    En ce qui concerne Margaret Thatcher, en revanche, j’ignorais ces aspects négatifs ; cependant, à en croire l’ouvrage évoqué du même Rothbard, le bilan est quand même moins négatif que celui de Ronald Reagan.

    En tout cas, bravo pour ce billet et l’ensemble de ce blog que je viens de découvrir grâce au Pélicastre jouisseur et trouve très enthousiasmant !

    • Je viens de valider votre message. Étrangement, il était en mode “indésirable”. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs.
      Même si le bilan de Thatcher paraît moins négatif que celui de Reagan, j’ai eu vent de certaines privatisations, notamment dans la distribution d’eau, qui auraient tourné au vinaigre. De ce que je sais, ces services ont été privatisés, mais pas libéralisés, ce qui veut dire qu’ils étaient restés assez réglementés. Ce fut également le cas aux USA. On privatise, sans libéraliser. Enron est un cas typique.

      La fraude comptable : et si Enron n’était pas coupable ?

  2. […] un article plus détaillé sur la question, voir ceci. Share […]

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