Obsolescence programmée : un mythe programmé sur Arte

Tout récemment, un débat sur France Culture a eu lieu en ce qui concerne l’obsolescence programmée, opposant Alexandre Delaigue face à Serge Latouche. Ici, le podcast. Il fait suite à la tribune d’Econoclaste sur l’obsolescence programmée un an plus tôt.

Le mythe de l’obsolescence programmée. Alexandre Delaigue, mardi 8 mars 2011, 19:19.

Delaigue s’était attelé à démystifier les multiples erreurs du documentaire “Prêt à jeter” de Arte (“The Light Bulb Conspiracy” en anglais) réalisé par Cosima Dannoritzer. Il faut savoir que cette théorie de la désuétude planifiée n’est valable qu’à la condition que l’accroissement de production, destiné à escroquer le consommateur, se traduit par une hausse des bénéfices. Comme nous allons le voir, cette assertion ne tient pas, d’un point de vue théorique, puisque cette stratégie conduit en réalité à une hausse des coûts de production, et non à une hausse des bénéfices.

Mais tout d’abord, si on lit les commentaires chez Econoclaste, ou sur France Culture, on remarquera que beaucoup de commentateurs se plaisent à faire part de leurs états d’âmes. D’autres préfèrent raconter leur vie, d’où l’on obtient des commentaires ridicules du genre “L’obsolescence programmée existe. Je l’ai rencontrée.”. Un beau cas de généralisation abusive. Mais voilà. Une anecdote n’est pas une donnée. Le pluriel d’une “anecdote” n’est pas une “donnée”. Cela devrait être enseigné à l’école.

Ces commentaires hilarants ont tous un point commun : la question de l’obsolescence programmée n’est pas une affaire de raisonnements et de démonstrations. C’est juste une question d’émotions. En un sens, cela peut illustrer dans une certaine mesure ce que Delaigue disait sur France Culture (06:25). Dans une société d’abondance où nous avons été élevés comme des enfants gâtés, ou des enfants rois, nous ne nous rendons pas compte de tous ces objets qui marchent, tellement cela nous paraît naturel. En revanche, un objet qui tombe en panne, c’est comme le ciel qui tombe sur la tête. La frustration en est plus fortement ressentie, et l’idée que cette panne serait due à une cause externe est d’autant plus tentante. Un peu comme lorsqu’un consommateur, à la vue d’une publicité, décide d’essayer un produit nouveau et qui, déçu de celui-ci, se force à croire que cet achat n’est pas le fruit de sa propre volonté mais celle des publicités aguicheuses qui, par on ne sait quel effet magique, auraient envoyé un “ordre” à son cerveau, l’obligeant à acheter pour toujours des produits qu’il n’aime pas et qu’il n’aimera jamais.

En outre, la tendance à idéaliser le passé peut être par la même occasion une tendance en une croyance à l’obsolescence programmée. Les biais de perception, ou de survie, peuvent nous laisser croire que les produits étaient plus durables avant, parce que l’on se souvient des réfrigérateurs vieux de plusieurs dizaines d’années en état de fonctionnement aujourd’hui, qui sont là, juste sous nos yeux, alors que l’on a oublié les centaines de machines qui ont terminé à la décharge. Encore une fois, une anecdote n’est pas une donnée.

L’article “L’air conditionné est-il de droite?” du Slate permet de mieux comprendre pourquoi les opinions personnelles sont totalement inappropriées. Des chercheurs américains ont enquêté sur le possible lien entre orientation politique et perception des températures. Les individus se réclamant conservateurs disaient que les températures baissaient ou stagnaient alors que les individus se considérant progressistes répondaient que les températures augmentaient : “Les véritables variations de températures ne sont qu’un très faible indicateur des perceptions subjectives”.

Si vous croyez au changement climatique et pensez que le monde se réchauffe, vous allez avoir davantage tendance à suer pendant vos promenades. Mais si vous estimez, au contraire, que tout cela n’est qu’affaire de scientifiques véreux et de conspirations climatiques, l’air vous semblera un petit peu plus frais.

C’est exactement le problème que Dan Gardner a essayé d’expliquer dans son ouvrage “Risk: The Science and Politics of Fear” (2008, p. 135). Le biais de confirmation. Des chercheurs, en utilisant des machines IRM, ont découvert que lorsque les sujets partisans de Bush étaient confrontés aux citations contradictoires de Bush, ces personnes jugèrent ces contradictions moins dommageables que ne l’ont jugé les partisans de Kerry. Et inversement lorsque ce fut Kerry qui a été le sujet du test. En revanche, lorsque le sujet était neutre, aucun biais n’a été détecté entre démocrates et républicains.

Le biais de confirmation est si fortement ancré en nous qu’il est donc tout à fait possible que les individus ayant des biais anti-marché exagèrent tout simplement des événements pourtant anodins. Dans la mesure où les inégalités augmentent, le sentiment croissant d’injustice peut conduire un individu à adopter des positions de plus en plus anti-marché. Fait intéressant, Napier et Jost (2008) rapportent que les conservateurs seraient plus heureux que les progressistes, et que la croissance des inégalités affecte davantage le niveau de bonheur des progressistes que celui des conservateurs, parce que les progressistes n’acceptent pas aussi bien les inégalités que les conservateurs. Mais globalement, les inégalités semblent réellement réduire le bonheur tel que rapporté par les individus (voir aussi, Kahneman et al. 2006). Le fait que les riches s’enrichissent plus vite que les pauvres n’est évidemment pas une idée séduisante pour la plupart des gens, mais alors quand un appareil ne fonctionne plus sans que l’on comprenne pourquoi, c’est la goûte d’eau qui fait déborder le vase. D’où la tentation de rejeter la faute aux puissantes firmes augmenterait en même temps que le sentiment que les produits deviennent de moins en moins durables.

Mais, si certains produits sont effectivement moins durables que jadis, il faut savoir que les produits ne sont pas homogènes. Certains produits gagneraient à être durable, d’autres moins. On pourrait faire valoir qu’une ampoule qui dure 50 ans peut avoir ses avantages, comme de nous éviter la peine de changer l’ampoule et prendre le risque de tomber d’une échelle. Une voiture qui dure 50 ans deviendra vite obsolète et démodé avec le temps. Qu’un produit qui aurait tout intérêt à être durable ait vu sa durée de vie diminuer ne prouve pas que l’obsolescence a été planifiée, surtout que la difficulté réside dans la distinction entre une obsolescence “planifiée” et une obsolescence “adaptée” aux préférences changeantes des consommateurs. L’explication serait que tout producteur fait face à des compromis. Une meilleure efficacité peut être mise en oeuvre au détriment de la durée de vie, et inversement. Si une ampoule gagne à être durable, elle gagne aussi à être efficace. Si la durabilité a été réduite, c’est parce que l’efficacité lumineuse est devenue un critère plus important.

En parlant d’ampoules, certains points historiques ont été relatés dans le documentaire Arte. On apprend qu’un cartel entre producteurs d’ampoules durant les années 1920 se seraient entendus pour dégrader la durée de vie des ampoules dans le seul but d’inciter les consommateurs aux achats superflus.

Mais les faits racontent une toute autre histoire. Voici un rapport (“Report on the Supply of Electric Lamps”, 1951) de la commission anti-trust britannique, où on peut lire au chapitre 9 :

125. The main factors in the design of a filament lamp are its life on the one hand and its luminous efficiency, i.e. the amount of light per unit of power (watt), on the other. A lamp designed to give high luminous efficiency has a shorter life than one designed to give a lower luminous efficiency and a long life ; in other words, an increase in the life of a lamp can only be obtained at the expense of efficiency. The cost of production of the lamp would be much the same whatever the life. For ordinary lighting, therefore, the relative importance of luminous efficiency and of long life (from the consumer’s point of view) depends on the relative costs of replacing lamps and of power. Where power is relatively expensive it is more economical to use high efficiency lamps and vice versa. In practice a single standard only of life has been adopted both here and in many other countries. The current B.S.I, specification for ordinary lamps, No. 161, lays down a minimum life of 1,000 hours and minimum values of luminous efficiency. The life of 1,000 hours is adopted as a standard in many countries though the United States adopts a lower figure for some ratings; it has been used in the United Kingdom since 1921, during which period the luminous efficiency has been substantially increased. Any figure chosen must be a compromise as the cost of power to different classes of consumer varies considerably and there is, therefore, no single optimum.* Some commercial users, however, have told us that they obtain longer life by “under-running” lamps (i.e. using lamps designed for, say, a 240 volt system on a 230 volt supply), particularly in positions where the cost of replacing lamps is considerable.

Il est difficile d’être plus clair. Privilégier l’efficacité lumineuse au détriment de la durabilité signifie qu’il existe bel et bien des compromis techniques à faire. C’est essentiellement une question d’optimisation. La durabilité du produit n’est qu’un critère de choix, parmi d’autres, du consommateur. Il est ainsi proprement impossible de définir quel est le “bon” standard de durée de vie. Au chapitre 17, nous pouvons même lire :

It has often been alleged — though not in evidence to us — that the Phoebus organisation artificially made the life of a lamp short with the object of increasing the number of lamps sold. As we have explained in Chapter 9, there can be no absolutely right life for the many varying circumstances to be found among the consumers in any given country, so that any standard life must always represent a compromise between conflicting factors. B.S.I, has always adopted a single life standard for general service filament lamps, and the representatives of both B.S.I, and B.E.A., as well as most lamp manufacturers, have told us in evidence that they regard 1,000 hours as the best compromise possible at the present time, nor has any evidence been offered to us to the contrary.

Maintenant, un cartel n’a aucune raison de prospérer dans un marché libre. La raison est que la possibilité des comportements opportunistes demeure une menace permanente à la stabilité du cartel. Plus la concurrence est forte, plus il est difficile de coordonner les stratégies. La seule façon de maintenir le cartel est d’y imposer des barrières à l’entrée pour limiter la concurrence. C’est par exemple le cas du marché de la téléphonie mobile où l’entrée est restreinte par le biais des franchises. Reisman (Capitalism, 1996, PDF, pp. 377-380) explique comment le gouvernement crée et entretient les monopoles.

Concrètement, en plus d’une baisse des prix, la concurrence conduit à une amélioration de la qualité des produits, non à leur détérioration. La crainte de perdre un client pour un concurrent est un frein suffisant à l’obsolescence planifiée. Autrement dit, réfuter la théorie du monopole naturel discréditerait en même temps la théorie de l’obsolescence programmée.

En fait, un monopole en lui même n’est pas une menace s’il est incapable de charger un prix de monopole (Mises, Human Action, [1949] 1996, PDF, pp. 278, 357-391, en particulier p. 370). Mais un tel monopole ne saurait surgir sur un marché libre de toute réglementation. À mesure même que l’économie se complexifie, les produits deviendront de plus en plus hétérogènes, la différentiation étant plus prononcée au niveau du consommateur qu’au niveau du producteur, et ceci, avec l’augmentation du niveau d’éducation qui facilite la discrimination entre produits (Rothbard, Man, Economy, and State, [1962] 2009, PDF, pp. 666-667, footnote 28). Ce faisant, l’établissement d’un prix de monopole n’est pas nécessairement plus aisé dans une économie avancée même en dépit des asymétries d’information. La concurrence à mort ne permettra même pas un prix de monopole de s’établir (pp. 681-686), ce concept étant lui-même complètement dépourvu de sens puisqu’il n’est jamais possible de le détecter (pp. 690-695, 700-702). L’éventualité des économies d’échelles dans un cadre de demande inélastique n’est même pas un frein à la concurrence.

Murray Rothbard on Monopoly, Cartel and Size of the Firm : Chapter 9 of Man, Economy, and State
Rothbard’s Criticism of Monopoly Price Theory : Chapter 10 of Man, Economy, and State

Une autre ligne d’attaque encore plus fatale contre la théorie du monopole naturel, sur un marché libre, serait de considérer la réaction des prix des facteurs de production (biens d’équipement, matières premières, etc.) lorsqu’une grande firme réduit son offre en biens de consommation pour accroître les prix. Si cela se produisait, sa propre demande en facteurs de production nécessaires à la production de biens va diminuer. À terme, le prix des facteurs de production diminuera, ce qui constitue une opportunité pour les firmes concurrentes qui pourront réduire leurs propres coûts de production. Elles sont, ainsi, en mesure de faire baisser leurs prix et tenir tête au monopole. Même en imaginant un scénario irréaliste où le monopole se substituerait aux concurrents pour racheter sur une base régulière tous les facteurs de production en excès pour leur éviter une baisse des prix, l’accumulation oisive des ressources productives constitue une perte sèche. Il serait nettement plus avantageux d’accroître sa production pour capturer une plus grande part de marché, ce qui fera baisser les prix tout en améliorant les produits de façon à satisfaire la clientèle. Et à ceci faut-il aussi rappeler, qu’en principe, le coût moyen de production diminue avec l’accroissement de la production.

Ceci étant dit, il est utile de garder en mémoire que des réglementations (taxes, contrôles des prix, législation pro-syndicale) peuvent favoriser l’obsolescence. Une hausse des taxes implique par exemple un accroissement des difficultés à se fournir en facteurs de production qui autrement auraient amélioré la qualité du produit. George Reisman a une discussion intéressante sur l’obsolescence programmée (Capitalism, 1996, PDF, pp. 214-216) où il explique pourquoi une industrie augmenterait considérablement ses marges de profit si elle produisait des objets plus durables, sauf dans le cas exceptionnel où le coût de production dépasse les avantages à produire des objets plus durables.

Enfin, voici venir le sujet qui fâche. L’épisode sur la puce Epson. L’affaire de cette puce, programmée pour se bloquer après un certain nombre d’impression, est assez obscure. Pas étonnant que le sujet ait été au centre des plaintes et pleurnicheries parmi les commentateurs chez Econoclaste.

À première vue, il est clair qu’il s’agit d’une tentative pour inciter le consommateur à acheter plus de ses imprimantes. Delaigue fait valoir que les entreprises n’ont aucune raison de dégrader l’imprimante, dans la mesure où la plupart de leurs bénéfices proviennent de la vente des cartouches. Ils ont donc tout intérêt à ce que l’imprimante ne se bloque pas, s’ils veulent que le consommateur continue à acheter leurs cartouches. Qui n’a jamais pensé d’ailleurs que les cartouches valent extrêmement chères ? Pour appuyer les dires de Delaigue, voici ce qu’on peut lire sur le site www.photocopieur-professionnel.fr :

Quand vous comparez plusieurs devis pour acheter une imprimante de bureau, vous ne pouvez pas vous baser uniquement sur le tarif affiché de l’imprimante. Pour une raison simple : les constructeurs diminuent leurs marges pour rester compétitifs et séduire le client avec des tarifs attractifs.

Mais il s’agit simplement d’une stratégie commerciale ! Les fabricants récupèrent ensuite une marge bénéficiaire confortable (jusqu’à 70 %) sur la vente de consommables. Il faut savoir que 50 à 60 % de leur chiffre d’affaires provient uniquement de la vente de cartouches d’encre. Mais pour l’utilisateur final de l’imprimante, la facture finale à payer peut se révéler assez lourde…

C’est en vérité ce qu’on peut lire sur d’autres sites. C’est loin d’être un secret. Mais même si cette obsolescence était réellement délibérée, ça ne signifie pas pour autant que toutes les entreprises ont intérêt à user de la même stratégie. S’il s’agit de l’exception plus que de la règle, les consommateurs n’ont pas à craindre de l’obsolescence programmée. A fortiori si cette stratégie n’est pas rentable sur le long terme, ce qui signifie qu’un tel phénomène est dans tous les cas assez éphémère.

En fait, une telle stratégie serait efficace seulement si elle n’augmente pas les coûts de production. Si une entreprise dégrade intentionnellement la qualité de ses produits, elle pourra produire plus. Mais pour produire plus, elle devra augmenter sa propre demande en facteurs de productions (biens d’équipement, matières premières, etc.) dont les prix augmenteront inévitablement. Résultat, ses propres coûts de production vont juste augmenter. Aucun profit à l’horizon. Mais des pertes, oui.

Inutile de dire qu’à long terme, une telle stratégie est peu susceptible d’être rentable. Elle sera abandonnée en conséquence. Si une quelconque obsolescence persiste, elle n’est pas “programmée”. L’interprétation la plus probable serait que les préférences auraient simplement changé, et que les firmes s’alignent sur les préférences constamment changeantes du consommateur. Dans ce cas, Alexandre Delaigue a raison, et les écologistes ont tort.

On peut malgré tout faire valoir, documentaire Arte à l’appui, que les nouvelles écoles d’ingénieurs (0:40:25) “dont l’intérêt est de concevoir le produit le plus jetable possible” ont des intentions claires à vouloir dégrader un produit. Ce sentiment est d’autant plus renforcé par les multiples déclarations des hommes d’affaires présentées dans le documentaire en guise de preuve. Mais vouloir et pouvoir sont deux choses différentes. Même s’ils tentent réellement de dégrader la durabilité d’un produit, ils seront nécessairement confrontés à la hausse des coûts de production due à l’augmentation de la demande en facteurs de production qui suit nécessairement la hausse de production des biens de consommation. C’est une réalité économique à laquelle ils ne peuvent pas échapper.

L’autre obstacle à l’obsolescence programmée est l’atteinte à la réputation. Une entreprise quelconque ne peut clairement pas s’attendre à dégrader ses produits sans que les consommateurs, complètement lésés, ne se tournent finalement vers la concurrence. On peut tromper, éventuellement, le consommateur par 1 fois, ou 2 fois, voire même 3 fois, mais pas indéfiniment. Le bouche à oreille est aussi un outil efficace pour discréditer la réputation de la firme. Enfin, peut-être pas autant que ce documentaire…

Puis, le documentaire parle, un peu vers la fin, des dégâts environnementaux causés par le consumérisme. Il manque évidemment sa cible. Si les firmes étaient les seules responsables de la dégradation environnementale, on se demande bien pourquoi on trouverait parfois, sur les déchèteries, des objets encore plus ou moins neufs, en état de fonctionnement. Des canapés, des chaises encore utilisables, et même de belles corbeilles métalliques. Cela n’aurait aucun sens si les consommateurs étaient eux-mêmes économes. La seule explication seraient que les consommateurs jettent des objets pour des raisons autres qu’un simple dysfonctionnement.

S’il est vrai que l’environnement est une préoccupation pour la plupart des gens, que le consumérisme de masse peut éventuellement expliquer en partie toute cette pollution, tout ceci n’a absolument rien à voir avec l’obsolescence programmée, tel que cela a été présenté dans le documentaire. Celui-ci suggère que la source du problème est la concurrence entrepreneuriale, stimulant la recherche effrénée du profit, qui par le biais de la publicité et de l’obsolescence incite le consommateur à acheter des produits, indépendamment de sa propre volonté, qui se brisent en moins de temps qu’il n’en faudrait pour le dire. Cette idée suppose sournoisement que le consommateur continuera incessamment de consommer un produit qu’il n’aime pas, et qu’il est incapable de se tourner vers la concurrence lorsque les produits de sa marque préférée se dérèglent constamment.

L’ultime raison pour laquelle la publicité ne peut pas induire les gens aux achats superflus est la même raison pour laquelle l’obsolescence ne peut pas être planifiée. Lorsque le niveau de consommation augmente sans hausse du niveau d’épargne, le prix des facteurs de production, et donc des coûts de production, vont croître, dans la mesure où aucune ressource supplémentaire n’a été allouée à la production de biens d’équipements permettant l’accroissement de la production de biens de consommation. C’est seulement lorsque les individus décident de consommer moins, en épargnant plus, que le prix des biens va pouvoir chuter, permettant aux individus d’accroître leur demande en biens de consommation dans le futur suite à l’amélioration des capacités productives par la hausse préalable de l’épargne. Mais ceci est clairement en contradiction avec l’hypothèse selon laquelle c’est la publicité qui pousse les gens à acheter davantage.

Si le consumérisme est aussi nocif qu’on le dit, ce sont les mentalités qui doivent changer. Evidemment, c’est tellement plus facile de gifler une poignée d’industriels. Après tout, les patrons sont riches, donc c’est forcément légitime. Ils feront des boucs émissaires parfaits.

Mais en un sens, Arte a raison. L’obsolescence existe bel et bien. Elle est programmée et diffusée chaque semaine sur Arte.

8 comments on “Obsolescence programmée : un mythe programmé sur Arte

  1. yoananda says:

    Tout a fait. Je me rends compte a quel point ce documentaire était orienté.
    Il n’est pas totalement faux de mon point de vue, mais il n’est pas non plus l’explication généralisée qu’il voudrait être.
    L’obsolescence programmée doit exister dans quelques “poches” en fonction du comportement parfois irraitionnel des consommateurs…

    Dans tous les cas, accuser les industriels de complot ne tient pas la route.

    Par contre, l’idée de base était d’attaquer le consumérisme, et justement, de manière habille, en s”attaquant a la source : le consommateur, en le faisant changer d’attiture (pas forcément avec des bons arguments mais pour des bonnes raisons). C’est peut-être ce qui explique que la presse aie été si clémente.

    Si ça à permis que certains consommateurs soient moins consuméristes et choisissent mieux leur produits, alors … dans le fond … même si la vérité en patie, la “justice” est gagnante.

  2. René de Sévérac says:

    Tout à fait d’accord avec vous et avec Delaigne dont j’ai relu l’article.
    Un point qui n’est pas soulevé : la question essentielle qui taraude les ingénieurs, c’et le processus de fabrication et jamais le processus de réparation.
    En conséquence de nombreux éléments sont choisis ou conçus pour tenir compte du processus de montage et dans ce cas la fiabilité intrinsèque (a priori) de ce composant peut conduire à déterminer le meilleur coût dans l’optique d’uneespérance de vie souhaitée/espérée.
    En d’autre termes, on pourrait parler d’une “obsolescence acceptée” mais jamais d’obsolescence programmée.

  3. NeverMore says:

    Après un certain temps de latence, je reprends la lecture de vos articles, toujours aussi intéressants. Bravo et merci.

    Un avis de lecteur

    On comprend aussi pourquoi certaines idéologies délétères (à mon avis) sont si résistantes à l’épreuve de certains faits.(cf. entre autres “L’air conditionné est-il de droite?” et votre extrait de “The Science and Politics of Fear”).

    Un avis de consommateur.

    Il y a bien (trop) longtemps, pour mes premiers achats de base en électroménager (frigo, lave linge, lave vaisselle) j’ai opté pour les top-produits d’une celèbre revue de consommateurs. Aucun problème, pendant presque vingt ans, à part une inadapation croissante (durées des cycles, bruit, consommation, apparition de rouille, débuts de défaut d’isolation …). J’opte désormais pour des produits plutôt bas de gamme en gardant quelques critères basiques (constitution correcte et suffisante, bruit, consommation, cycles courts …) . Cà permet profiter des progrès (bruit, efficacité énergétique, consommation d’eau, confort d’utilisation) à des coûts très raisonnables. Pour mon confort moral, j’espère que ces prodduits sont bien recyclés, mais je n’en suit pas du tout sûr.Je me doute malgré tout qu’ils sont optimisés en terme de quantité de matière.

    Idem pour les voitures. par exemple, une diesel correcte (réputée) et initialement BIEN entretenue est à peine rodée à 200 000 kms (elle va à 400 / 500 000 avec des côut d’entretien très compétitifs, je dirais même légers, relativement).

  4. 猛虎 says:

    C’est un peu le problème avec le progrès. Quand ça va trop vite, on doit vite changer ces habitudes. Les produits dépérissent. La réparation coûte très chère, etc. Donc, on achète un nouveau au lieu de faire réparer, et cela ne s’applique pas seulement aux ordinateurs.

  5. captp says:

    Très intéressant. Cependant il y a quand même une petite objection à faire il me semble. Pour justifier que la stratégie de l’obsolescence programmée n’est pas profitable, vous faîtes le postulat qu’elle entraîne une hausse de la production, et donc une hausse des coûts et tout ce qui s’en suit, etc.
    Or ce postulat initial sur lequel tout le raisonnement repose n’est pas si évident. Car une entreprise peut simplement vouloir maintenir sa production, pour continuer à faire tourner les moyens de productions qu’elle a déployer durant une phase de conquête du marché à leur plein potentiel. Exp : si une entreprise propose un nouveau produit qui cible, mettons une population de 1000 consommateurs potentiels, qu’elle peut produire 100 par mois, et que la durée de vie du produit est de 10 ans. Alors elle aura conquis son marché maximal en 1 an, et après ? Si une nouvelle génération de produits n’a pas un avantage considérable par rapport à la précédente, quel seront les moyen(s) pour cette entreprise pour continuer à produire, sinon ceux de la suggestion grâce à la pub (effet de mode, obsolescence psychologique) et l’obsolescence matérielle “programmée” ?

  6. 猛虎 says:

    J’ai l’impression que vous ne comprenez pas tout à fait les mécanismes de la concurrence. L’entreprise continue à produire tant qu’il y a du profit à faire, et non parce que la nouvelle génération de produits est supérieure à l’ancienne. Si les magasins ne proposent plus aucun produits neufs, cesserez-vous d’acheter ? Alors il n’y a aucune raison d’y trouver un quelconque débouché dans votre scénario.

  7. captp says:

    Je ne comprends pas en effet, car je ne vois pas le rapport entre ma remarque et votre réponse.
    Je me pose des questions par rapport à cet argument :

    “En fait, une telle stratégie serait efficace seulement si elle n’augmente pas les coûts de production. Si une entreprise dégrade intentionnellement la qualité de ses produits, elle pourra produire plus. Mais pour produire plus, elle devra augmenter sa propre demande en facteurs de productions (biens d’équipement, matières premières, etc.) dont les prix augmenteront inévitablement. Résultat, ses propres coûts de production vont juste augmenter. Aucun profit à l’horizon. Mais des pertes, oui.

    Inutile de dire qu’à long terme, une telle stratégie est peu susceptible d’être rentable. Elle sera abandonnée en conséquence.”

    Et il me semble que c’est un peu le point clef de votre raisonnement comme annoncé dans l’introduction par la phrase : “Comme nous allons le voir, cette assertion ne tient pas, d’un point de vue théorique, puisque cette stratégie conduit en réalité à une hausse des coûts de production, et non à une hausse des bénéfices.”

    Dans l’introduction, vous présentez comme une conséquence logique évidente l’augmentation des coûts de production, pour justifier que la stratégie n’est pas viable.
    Or, dans le paragraphe, vous dîtes que la stratégie est efficace: “seulement si elle n’augmente pas les coûts de production”. Je me dis qu’effectivement, il n’est pas du tout évident que cette stratégie augmente nécessairement les coûts de production.
    En effet pour justifiez celà, car vous posez simplement deux assertions, sur lesquelles reposent le reste :
    -la stratégie conduit forcément à une hausse de la production.
    -cette hausse de la production entraîne une baisse du profit parce que les coûts augmentent.
    C’est celà que je ne comprends pas car si ces points sont douteux alors l’argument ne tient pas.

    En particulier c’est le premier point qui ne me semble pas évident, et je pense mériterait d’être plus justifié. Car si la demande du produit baisse parce que sa durée de vie est longue et que la population cible diminue dans le temps, alors les moyens de productions ne tournent pas de façon optimale et les profits baissent. Pour une entreprise s’assurer le maintient d’un taux de production stable n’est-il pas un objectif suffisant?
    Pour le deuxième point : la hausse des prix des matières premières dans le cas d’une augmentation de la production se répercute aussi à la concurrence. Donc avec une hausse des prix générale le profit ne peut-il rester identique ?

    Peut-être que ce sont des questions triviales pour un économiste. En tout cas merci de consacrer du temps pour ce blog.

  8. 猛虎 says:

    “Car si la demande du produit baisse parce que sa durée de vie est longue et que la population cible diminue dans le temps, alors les moyens de productions ne tournent pas de façon optimale et les profits baissent.”

    Et bien, le fait que les gens ait moins besoin de changer de produits avec le temps signifie aussi pour les entreprises une baisse des coûts de production, par rapport à une situation où les entreprises manoeuvrent délibérément l’obsolescence. Le détail important derrière mon argument est que vous ne pouvez pas augmenter votre production si les ressources ne sont pas suffisantes à cet effet. En conséquence, les prix vont monter car les machines et autres facteurs nécessaires à la production de ces biens de consommation n’ont pas vu leur prix baisser. Il n’y aurait pas de problème si la hausse de production fait suite directement à une hausse de l’efficience productive, à savoir, une amélioration de la productivité des facteurs, dont l’innovation technique. Dans le cas d’une obsolescence programmée, les entreprises souhaitent accroîtrent le nombre de produits vendus alors même que les facteurs nécessaires pour les produire n’ont pas vu leur coût baisser (i.e., pas d’amélioration préalable).

    Aussi, il n’y a pas à dire que les entreprises ne vendraient pas assez. Si les prix baissent, les gens seront davantage enclin à acheter.

    “la hausse des prix des matières premières dans le cas d’une augmentation de la production se répercute aussi à la concurrence. Donc avec une hausse des prix générale le profit ne peut-il rester identique ?”

    La première phrase est vraie, pas la deuxième. Parce que dans ce cas de figure, les profits seront transférés (ou devrais-je dire absorbés) aux industries qui produisent ces fameux facteurs productifs. Pensez-y. Le propre de l’obsolescence programmée est de dégrader un produit en y baissant également son prix. Dans le même temps, le prix à payer pour les produire augmente. Sans doute pour les concurrents, certes, mais le profit ne restera pas identique.

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